Les fans de sports à Montréal ont toujours été considérés comme des personnes qui réagissent fortement à une situation. On n’a qu’à penser à l’émeute suivant la suspension à Maurice Richard, au vandalisme suite à la dernière conquête de la Coupe Stanley ou aux différentes émeutes que les Eddy Creatchman, Abdullah the Butcher et autres ont pu provoquer à la lutte.
Par contre, autant qu’ils réagissent impulsivement lors de ce type de situation, quand ils aiment, ils aiment avec autant d’intensité. Maurice Richard, Guy Lafleur, Jean Béliveau, Yvon Robert, Maurice Vachon et Hulk Hogan sont tous d’excellents exemples. Les 250 000 personnes qui se sont présentés pour voir Maurice Richard, exposé en chapelle ardente, est d’ailleurs un record pour un sportif à l’échelle mondiale, devançant même les foules pour des lutteurs japonais et mexicains.
Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que depuis plus de 10 ans, l’un des cris préférés des fans de lutte à travers le globe a vu le jour ici même au Québec.
Vous savez, quand un lutteur essaye d’en terminer avec un autre, il y va d’un tombé et l’arbitre compte 1, 2 et si ce n’est pas encore la fin, le lutteur soulèvera son épaule ou se dégagera d’une certaine façon. Depuis plusieurs années, peu importe le stade, l’aréna, la salle où il y a des combats de lutte, lorsque le lutteur se dégage au compte de 2, la foule s’exclame avec twooooo à l’unisson pour signifier le compte de 2. Et bien croyez-le ou non, ce cri a fait son apparition à Laval, un soir de septembre 2001. En effet, lors d’un gala de la IWS présenté au Scratch de Laval, plusieurs amis s’étaient rejoints pour aller voir le show. De ce groupe, on compte Philippe Leclair et Claude Tousignant (anciennement du site Attitude Qc), de même que Stéphane Mercier, Anthony Hachey, Dany Daigle, ainsi que l’auteur de ses lignes.
« On trouvait que l’arbitre de la WWE Tim White était toujours intense quand il faisait un compte de deux. Il se relevait et pointait vers le sonneur de cloche en criant un two sans équivoque, se souvient Tousignant. Lors de cette soirée, on a commencé à déconner et quand il y avait un compte de 2, on criait “Two count, two count, à ne pas confondre avec Tooooon!” Toon, c’était le surnom d’Anthony.»
Lorsque la WWE a fait son retour à Montréal pour un événement télévisé, le 16 octobre 2001, Tousignant et Mercier étaient tous les deux assis au niveau de l’arène du Centre Molson et à chaque fois qu’ils le pouvaient, s’exclamaient du maintenant célèbre two! Cinq mois plus tard, Tousignant, Mercier, Leclair, ainsi que d’autres de leurs amis (dont je faisais partie) étaient tous présents à Toronto pour WrestleMania X8 et avaient amené avec eux des pancartes où on pouvait y lire le chiffre magique qu’il fallait crier. Le lendemain lors du Raw à Montréal et le mardi lors du Smackdown! à Ottawa, le même processus allait suivre.
Le 14 octobre 2002, alors que la WWE présentait Raw à Montréal, cette bande de joyeux lurons s’était encore une fois donnée rendez-vous et avait surtout réussi à crier assez fort et à faire crier d’autres spectateurs sur place, qu’un site américain couvrant la lutte remerciait la foule de Montréal d’avoir crié des two tout au long du gala. Puis finalement, l’événement ultime vit le jour, No Way Out 2003, présenté à Montréal en février de la même année. Tousignant et ses amis n’étaient pas pour manquer cette occasion, mais cette fois-ci, Tousignant avait un plan en tête.
« Avant le gala, Claude a expliqué à toute la section derrière nous qu’à chaque compte de deux, il fallait crier two! Le plus drôle là-dedans, c’est qu’il l’a fait en français et en anglais!» se souvient Leclair. « Les commentateurs du gala diffusé sur PPV n’en revenaient pas », se rappelle Tousignant.
À la grande surprise de tous, étant probablement motivé par la rigueur que Tousignant et ses amis donnaient à ce cri, la foule a fini par embarquer dans le jeu, donnant un effet domino au two, qui était maintenant crié par la majeure partie des 16 000 fans présents. « Le site Internet de TSN en avait même parlé dans son résumé du gala! » se souvient Tousignant. Le mois suivant, à Seattle, pour WrestleMania 19, la bande était toute chez Philippe Leclair pour regarder le spectacle mais aussi pour rendre hommage au site Internet qui leur avait permis de tous se rencontrer, Attitude Qc, qui fermait boutique. Si une page d’histoire dans la vie de ses hommes venait de se terminer, une autre commençait alors que pour la première fois, tous les efforts mis pour éduquer les gens à crier two avaient finalement porté fruits.« Des fans, à Seattle, dans la première rangée, avaient des affiches indiquant le fameux two. Nous étions en état de choc! » se souvient Tousignant. Ce que ce groupe d’amis avait créé pour le plaisir moins de deux ans auparavant venait de prendre des proportions que personne n’aurait pu imaginer.
Mais la reconnaissance suprême eut lieu le 3 mai 2003, lors d’un événement non télévisé au Colisée Pepsi de Québec. Avant son combat, Rhino prit le micro et admit que les two avaient commencé au Québec et qu’il n’était plus capable d’entendre ce cri, se mettant ainsi la foule à dos. Même un lutteur de la WWE reconnaissait le lieu de naissance de ce qui est devenu l’un des cris les plus populaires et les plus utilisés dans l’histoire de la lutte. L’origine des two avait fracassé la barrière séparant les fans du vestiaire et ce phénomène était donc bien connu des lutteurs. D’ailleurs Rhino a par la suite fait un discours semblable lors d’un gala au Centre Molson au mois de novembre de la même année.
Jimmy Korderas est sans équivoque sur l’origine des two :
« Ça a commencé à Montréal, affirme-t-il. Moi j’aimais ça, les arbitres aimaient ça, mais pas l’office, elle détestait ça parce que ça mettait l’importance sur la foule. D’ailleurs, l’office n’aimait pas les cris de ECW pour les mêmes raisons. »
Finalement, le 7 février 2005, à Saitama au Japon lors d’un enregistrement de Raw, des Japonais avaient eux aussi des affiches two. C’était maintenant une consécration mondiale, alors qu’il fallait se rendre à l’évidence : peu importe l’endroit dans le monde où un gala de lutte était présenté, il y avait de fortes possibilités d’entendre ou de voir un two, transcendant ainsi les frontières, les cultures et les langues.
« Je regardais l’émission et quand j’ai vu les affiches, j’en ai pleuré », se rappelle Tousignant avec une touche de nostalgie, tout en mentionnant que ce phénomène fut aussi entendu à Londres et dans bien d’autres villes internationales.
« J’ai déjà rencontré des gens qui doutaient de moi quand je leur disais que je connaissais les personnes qui avaient inventé les two. Ils comparaient ça à tous ceux qui se créditent l’invention de la poutine en disant qu’on ne pouvait pas vraiment savoir qui les avait inventés », raconte Johnny Barbosa, ami du groupe. Mais pour Claude Tousignant, Philippe Leclair, Stéphane Mercier, leurs amis et votre humble serviteur, il n’y a même pas l’ombre d’un doute. Au fil du temps, les two furent entendus autant dans des spectacles de lutte indépendante aux États-Unis comme ROH et TNA, qu’au Québec dans les différentes promotions et même dans les bars sportifs qui présentent les événements sur télé à la carte. Un arbitre québécois, Bakais, a même produit des t-shirts avec two dessus qu’il vend lorsqu’il arbitre pour une promotion. « Encore aujourd’hui, on voit des affiches ou on entend le two. C’est vraiment incroyable!» conclut Tousignant.
Alors quand vous serez au Centre Bell ce vendredi et que vous vous époumonerez à crier two après le premier compte de deux, vous saurez maintenant que vous continuez une tradition purement québécoise.
Bonne lutte à tous et à toutes!
Si vous avez des questions, des suggestions ou des commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec moi au patric_laprade@lutte.quebec, sur ma page Facebook ou sur mon compte Twitter.
Merci à Bertrand Hébert pour sa collaboration sur ce texte