Je suis encore sous le choc de la nouvelle. Le “Hot Rod” Roddy Piper n’a pas eu le même impact sur ma jeunesse que sur mes collègues plus âgés, car du haut de mes 28 ans, j’ai davantage pu profiter de Roddy tantôt comme adversaire de Bret Hart à WrestleMania VIII, comme commentateur extraordinaire et ensuite comme lutteur limité à la WCW ou lors de son retour à SmackDown au début des années 2000. Sean O’Haire, quelqu’un?
Et malgré ma propension à découvrir son passé reluisant, pour moi, le plus gros impact de Piper fut en tant qu’acteur. Et quel acteur! Je crois fermement que Roddy était un meilleur acteur que lutteur (ne mélangez pas “lutteur” comme technicien du ring et bête de divertissement… Je parle de prouesses comme dans le ring ici). Il est un acteur né qui a prêté son talent au médium de la lutte plus qu’un personnage de lutte qui tente de se transposer au cinéma. Son énorme bagage de vie, depuis son enfance difficile et ses années de vagabondage dès l’âge de 13 ans, lui ont forgé une personnalité lui permettant de se fondre à une réalité donnée, voir de mentir pour survivre, mieux que quiconque.
Son film le plus célébré est sans aucun doute possible le chef d’œuvre de John Carpenter, They Live (Invasion Los Angeles). Dans son autobiographie, In the Pit with Piper, parue en 2002, que mon collègue Simon vous a exposée dans le passé, Piper mentionne que c’est sa première vraie expérience comme acteur, refusant catégoriquement d’avouer l’existence de Hell Comes to Frogtown. Outre les raisons derrière Frogtown, il est facile de voir pourquoi Roddy préfère parler de They Live. Près de 30 ans après le film, il est toujours considéré comme son meilleur film et un des meilleurs de son légendaire réalisateur, John Carpenter.
Carpenter est responsable d’une tonne d’excellents films d’horreur, de science-fiction, d’action et de suspense! Qu’on parle d’Halloween, New York 1997, Big Trouble in Little China, Starman, Prince of Darkness, The Thing, Fog, ce sont tous des classiques de leur genre réalisés par le maître ultime. Avec They Live, Carpenter, alors fraîchement sorti de films au box-office peu reluisants (Big Trouble in Little China et Prince of Darkness), a dû réaliser et produire lui-même avec aussi peu de budget que possible un film, de façon 100% indépendante pour la première fois depuis son film étudiant Dark Star de 1974. À mon opinion, les deux films ci-hauts sont excellents, mais trop de gens y ont trempé leurs mains sales, surtout financièrement, donnant des films mal gérés, mis en marché de façon incompétente et abandonnés par les producteurs.
L’équivalent serait un gala de lutte où le propriétaire de la salle et le propriétaire du ring veulent décider ce qui se passe durant le spectacle au lieu du booker et quoi mettre sur les posters. Carpenter a approché Roddy Piper vers Wrestlemania III pour lui offrir le rôle principal de Nada (“Rien”, en espagnol), rôle nécessitant un dur à cuire qui ferait office de Kurt Russell du pauvre. Piper accepte immédiatement, connaissant et admirant le corpus impressionnant de Carpenter. Il voulait depuis longtemps devenir une star de cinéma et faire oublier Frogtown. Quoi de mieux qu’un véhicule d’un des réalisateurs de genre clé de Hollywood pour y accéder! Cependant, McMahon lui refuse le congé nécessaire au tournage (Rocky III à nouveau!), forçant Piper à démissionner et promettre de ne jamais remettre les pieds à la WWF.
They Live, c’est l’histoire de Nada (Piper), un homme mystérieux dont on ne connait ni le nom, ni la provenance, qui arrive au Colorado dans les environs de Denver, maison sur le dos, cherchant une opportunité de vivre lui aussi un peu le rêve américain. Il se trouve un petit emploi en construction, tranquille, et demeure dans un bidonville en orée de la ville avec d’autres gens pour qui la chance n’a pas encore frappé. Nada est froid et distant, mais observe beaucoup. Son attention est vite tournée vers des phénomènes étranges: des allées et venues nombreuses et curieuses dans une église en face du bidonville à des heures impossibles, le poste de nouvelles local sans cesse interrompu par un “fou” qui met en garde sur une possible manipulation de la masse par un signal électro-magnétique, une curieuse caisse de lunettes soleil qui semble beaucoup trop précieuse… Bref, Nada demeure sur le qui-vive. Son nouvel ami, Frank, lui suggère de ne pas trop attirer l’attention avec tout ça. Nada décide d’aller voir l’église de plus près, mais lors d’un raid policier sur l’église qui débordera aussi sur le bidonville, c’est chacun pour soi. On tente de nous convaincre que des terroristes/socialistes sont abrités par le bidonville et l’église.
Nada retrouve le lendemain la caisse de lunettes soleil cachée dans l’église et décide d’en mettre une paire. Il découvre tout un nouveau monde. Ces lunettes permettent de voir le monde tel qu’il est, sans les impulsions électromagnétiques lancées sur la population. Il découvre que la Terre est prise d’un assaut tranquille et secret par des extraterrestres qui manipulent la masse à la faveur d’une partie infime de la population qui garde le reste en constant état d’esclavage, par le biais des médias papier, la publicité et la télévision. Personne ne le croit, mais éventuellement, Nada peut attirer les services de Frank, d’une journaliste et d’un groupe responsable des lunettes soleil pour enfin tenter d’attaquer les aliens directement à leur base d’où ils envoient le fameux signal. On y retrouve bien entendu tous les ingrédients d’un bon Carpenter, où le héros est beaucoup plus un anti-héros; un marginal improbable pour qui nous ressentons la sympathie, le thème de la vérité cachée ou alternative d’une élite puissante, le secret bien gardé ou le passé mystérieux du protagoniste, le sentiment d’impuissance, l’injustice sociale qui perdure et le cauchemar éveillé.
C’est violent et c’est pertinent. John Carpenter nous livre ici un film qui n’a perdu, sinon que gagné en mordant au cours des 25 dernières années. Le film est maintenant un succès culte alors qu’à l’ère du politiquement correct, des commanditaires, actionnaires, campagnes de peur et mondialisation, son message ne semble que plus vrai. They Live survit et se défend toujours mieux devant l’épreuve du temps et de nouvelles théories sont sans cesse élaborées sur les aliens du film. Selon Carpenter, ce sont des droitistes de l’ère de l’économie Reagan (Les Reaganomics, qui ont eu pour effet de rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres en dérégularisant le marché privé et en réduisant tous les services publics). Selon les psychologues, c’est un combat entre le 10% de la population qui est sociopathe versus la masse qui éprouve des émotions. Selon Piper, c’est un documentaire avant son temps sur les complots gouvernementaux. Selon les sociologues, c’est l’échec du rêve américain. Mes professeurs en études médiatiques diraient que c’est une critique de la culture de masse à l’ère des communications. Un philosophe pourrait y voir une réinterprétation de l’allégorie de la Caverne de Platon comme métaphore du conditionnement humain. C’est aussi tout ça! C’est extrêmement bon signe quand un film vieillit avec son époque et qu’on peut lui trouver de nouvelles fonctions sémantiques selon les enjeux contemporains. Ce film passera à l’histoire et vieillira mieux que tous les autres Carpenter, qui était encore tout récemment encore un ami très proche de Roddy.
C’est aussi célèbre pour sa scène de combat interminable de plus de 6 minutes entre Nada et Frank (le dur à cuire Keith David), où les deux se livrent un combat où l’enjeu est pour Nada de faire porter les lunettes à Frank. C’est un combat si “réel” qu’il ne faut pas s’étonner que les deux hommes se sont donné de vrais coups. Pas d’artifice ni de ponctuation comme un combat d’Hollywood. Juste deux pugilistes qui se pètent la gueule! La scène fut reprise, coup par coup, intégralement dans un épisode de South Park: Cripple Fight, entre Timmy et Jimmy. Et oui, il y a des prises de lutte!
Je crois fermement que sans son décès prématuré, Piper avait un second souffle au cinéma qui s’en venait. C’était l’heure pour lui de récolter les fruits de son labeur auprès de la nouvelle génération de cinéastes qui a grandi avec lui, attendant patiemment les moyens ultimes pour lui rendre hommage. Il aurait sans doute aussi été un Expendable mieux que Hulk Hogan ou Steve Austin. J’écoutais son podcast cette semaine justement où DDP promet de s’occuper de lui, le remettre sur les rails et l’introduire à son mode de vie sain pour faire avec lui ce qu’il a fait et fait toujours avec Scott Hall ou Jake Roberts. Trop peu trop tard malheureusement. On ne saura jamais ce que Piper aurait encore eu dans le ventre pour ses fans. Il en a donné jusqu’à son dernier souffle et s’il avait pu vivre jusqu’à 100 ans, il en aurait donné encore et encore! Il se plaisait à dire que “Vous n’avez encore RIEN vu!” Je veux le croire. Quel homme et quelle œuvre il laisse derrière! J’écris ces lignes et je ne le crois toujours pas.
Je vous suggère de fréquenter sa filmographie et de creuser un peu plus creux que les principaux médias qui s’arrêtent après Frogtown et They Live. Piper a joué dans plus de 40 films et peu importe son rôle, il les a toujours joués avec une générosité comme s’il était Charlton Heston dans Ben-Hur ou Jack Nicholson dans The Shining. Piper est parti de si loin pour arriver où il était que pour lui, chaque occasion était un humble bonheur et un honneur absolu. Il semblait véritablement apprécier sa chance et sa vie. Il y a beaucoup à apprendre d’un tel homme.
Roddy Piper, tu étais un artiste unique et irremplaçable. Tu es né pour divertir et provoquer des réactions. Je n’aurais peut-être jamais eu la chance de te rencontrer, te faire signer des VHS de tes films les plus obscurs que tu as sans doute oubliés, mais je n’oublierai jamais ton existence. Merci Roddy!