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26/10/2016 | Chroniques

Le Poing: Frenchy Martin, le mercenaire joker

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Bertrand Hébert et moi-même lors de notre dernière rencontre avec Frenchy.

Pat Laprade

Pat Laprade

Vous n’avez pas été réellement impliqués dans la lutte québécoise si vous n’avez pas entendu une histoire de la bouche même de Frenchy Martin. Et malheureusement pour ceux qui n’ont jamais eu ce privilège, depuis vendredi matin dernier, cela ne sera plus possible.

Frenchy était reconnu pour être un farceur, un blagueur. Muni d’un sens de la réparti hors pair, il avait toujours une histoire à raconter. Que ce soit dans le lobby de l’hôtel à Amsterdam, New York pour le Pro Wrestling Hall of Fame, à l’International des Collectionneurs entre deux autographes ou dans un vestiaire de lutte, il devenait vite le centre d’attention.

Alors qu’il était en Asie pour une tournée organisée par les Killer Bees, mais financée par des promoteurs locaux, Frenchy s’était rapidement rendu compte que des foules de 400 personnes dans des salles qui en contenaient bien plus n’allaient pas remplir les poches des promoteurs. C’est alors qu’il décida de se faire faire des habits sur mesure. Après tout, un lutteur doit être habillé proprement, non? Bien sûr, il refila la facture aux promoteurs. Puis lorsqu’il a assez eu d’habits, ce sont des avances à coup de 500$ qu’il a demandées. Si bien qu’à la fin de la tournée, ce qui devait arriver arriva : les autres lutteurs sont allés voir Frenchy afin de lui demander s’il voulait se joindre à eux afin d’engager un avocat et de poursuivre les promoteurs. Et Frenchy de répondre tout simplement : « Non merci. J’ai été payé. Je retourne chez moi! » Personne n’avait été payé. Personne sauf Frenchy, bien entendu!

« Il était un street-wise », affirme son ami Rick Martel.

Mais bien souvent, l’argent sortait plus rapidement qu’elle arrivait.

Dans ce qui demeure mon histoire préférée de Frenchy, il est au Japon pour Giant Baba et à chaque soir il demande une avance afin de sortir dans les bars. Puis, à la fin de la tournée, l’agent en charge de payer les lutteurs donne des enveloppes à tout le monde, mais arrivé devant Frenchy il s’arrête et dit : « Tu dois 20$ à Baba, mais Baba dit c’est ok! » Non seulement avait-il dépassé toute sa paye, il en devait même! Du Frenchy tout craché.

Non seulement Frenchy avait des histoires, mais ceux qui l’ont côtoyé aussi.

Raymond Rougeau raconte :

« On est à la WWF. On est moi, mon frère Jacques, Dino Bravo et Frenchy dans l’auto. On est à New York et Frenchy habite dans le Bronx, qui était vraiment tough à l’époque. On le ramène à son domicile pour ensuite s’en aller à l’hôtel. J’ouvre la valise de l’auto pour qu’il prenne ses bagages et il y a quelqu’un dans un immeuble pas très loin qui lance une bouteille et qui atterrie sur le trottoir. Ma vitre d’auto est alors baissée et ça a fait un gros POW! J’ai fait le saut, j’ai vraiment sursauté. Mais Frenchy lui n’a pas bronché. Je lui ai dit “crime Frenchy t’es pas nerveux? ” Et il me répond “Ça? C’est normal. Si c’était tranquille c’est là que je m’inquiéterais! ” »

Toujours le mot pour rire, toujours la bonne histoire pour rigoler.

Mais avait-il vraiment le choix? La vie n’a pas toujours été facile pour Frenchy.

Après s’être lié d’amitié avec Michel Vigneault, avec qui il travaillait comme portier dans les bars de Québec, il fait ses débuts dans la lutte professionnelle dans la région de Québec en 1967 pour les frères Casino, dont l’un d’eux était l’oncle de Vigneault. Né Jean Gagné le 19 juillet 1947 (et non pas en 1950 comme certains médias l’ont rapporté), il débute sous le nom de guerre de Young Gagney, l’un des nombreux noms qu’il empruntera. Mais la lutte n’est à ce moment-là que temporaire pour Frenchy. Et elle le sera pendant quatre ans, alors que Vigneault l’emmène avec lui à Calgary pour aider son développement. Les années 70 l’amèneront à lutter aux quatre coins du monde, que ce soit à Calgary, en Floride, au Texas, en Louisiane, au Kansas, au Missouri, au Nouveau-Brunswick, au Japon et bien entendu, la terre promise des deux Québécois, Porto Rico. C’est là que Frenchy (Pierre Martel) et Vigneault (Michel Martel) connaitront le plus de succès. Mais en 1978, une tragédie survient. Michel Vigneault est victime d’un malaise après un combat et décédera. Il n’avait que 34 ans C’est alors que pendant les quelques années qui suivront, Frenchy deviendra comme le grand frère du jeune frère de Michel, Richard Vigneault, mieux connu sous le nom de Rick Martel.

Les années 80 amènent du sang nouveau au Québec et Frenchy reviendra chez lui lutter en équipe avec Pierre « Mad Dog » Lefebvre. Mais en 1985, c’est le jour de la marmotte pour Frenchy. La veille de Noël 1985, après avoir lutté en équipe avec Lefebvre, ce dernier sera tué dans un accident de la route en revenant du Saguenay en compagnie de Tarzan « La Bottine » Tyler et de l’arbitre Adrien Desbois. Tout comme Vigneault, Lefebvre était tout jeune, âgé de seulement 30 ans.

Frenchy luttera quelque peu pour la World Wrestling Federation, mais c’est comme gérant de Dino Bravo qu’il se fera le plus connaître. Surnommé l’Artiste, il ne sera non seulement le gérant du Québécois, mais aura son segment à la « Piper’s Pit » intitulé Le Studio.

Après sa carrière internationale terminée, Frenchy deviendra entre autres agent de sécurité, particulièrement sur les contrats de grève, et ce, jusqu’en 2011. Il continuera aussi de faire des présences pour différentes promotions de lutte au Québec, particulièrement pour la ICW à Montréal ainsi que pour le lutteur et promoteur Dave « le Justicier » Bédard à Windsor et Asbestos. Je me souviendrai toujours d’un combat en 2002 ou 2003, alors que Ludger et Serge Proulx affrontaient Martin Roy et Frenchy à la ICW. Devant une foule d’environ 150 personnes, les heels qu’étaient Roy et Martin, avec une prise des trapèzes s’il-vous-plait, ont réussi à tenir la foule en haleine pendant une bonne quinzaine de minutes. Je n’avais jamais vu une foule réagir de cette façon pour une manœuvre qui était pourtant dépassée depuis belle lurette. Du pur bonbon. Jusqu’à tout récemment, il ornait les amateurs de sa présence comme gérant. Même qu’en février dernier, il devait gérer le fils de Dave le Justicier, mais il n’allait pas assez bien pour ça. C’est donc Dave qui prit sa place et après le combat, Frenchy n’allait toujours pas mieux. C’est donc en ambulance qu’il a quitté ce qui fut sa dernière présence dans un vestiaire de lutte.

« Le lendemain, il est sorti et a passé quelques jours chez moi, de dire Bédard. Il ne voulait pas arrêter. S’il avait pu, il en aurait fait jusqu’au bout. Il était encore très présent jusqu’à la fin. Il m’appelait souvent et on parlait des galas et tout. C’était sa vie. »

C’est en mars 2015 qu’il m’avait prévenu qu’il avait été diagnostiqué d’un cancer de la vessie, un cancer qui se guérit bien habituellement, mais qui a une chance de récidive assez élevée. Neuf mois plus tard, un autre verdict tombait, celui-là bien plus grave : le cancer s’était maintenant déplacé dans les os. Il n’y avait plus rien à faire. Des traitements de chimiothérapies n’auraient que ralentit son départ. Frenchy m’avait dit au téléphone qu’il ne voulait pas de ces traitements, qu’il voulait vivre ses derniers moments en ayant une belle qualité de vie. Il déménage donc à Québec où son frère Mario et sa sœur Lise y vivent encore. Frenchy avait été mariée à une Portoricaine prénommée Millie avec qui il avait eu deux enfants : Lisa-Michelle et Jean-Joseph, communément appelé JJ. Millie est décédée, elle aussi d’un cancer, en 2004. Sa fille, qui est aussi la filleule de Rick Martel, habite toujours Porto Rico alors que JJ habite Salt Lake City, Utah. Ce dernier a d’ailleurs tenté sa chance à la lutte, alors que Frenchy l’avait amené à la ICW en 2002, luttant sous le nom de Shadow.

« Il avait une grande force de caractère, de dire Rick Martel. Il acceptait ce qui lui arrivait et ne s’apitoyait pas sur son sort. Il demeurait un bon vivant et était en accord avec ce qui se passait. »

Après avoir habité chez une amie, il est déménagé à la Maison Michel-Sarazin au mois de septembre, une maison de soins palliatifs. C’est un ami de longue date, Gaston Carbonneau, et son épouse, Danielle Aubut, qui se sont occupés de lui dans ses derniers moments.

Bertrand Hébert et moi-même lors de notre dernière rencontre avec Frenchy.

Bertrand Hébert et moi-même lors de notre dernière rencontre avec Frenchy.

« En janvier lorsqu’il a eu la nouvelle que son cancer était incurable, il a été atterré, mais par la suite il était serin, explique Mme Aubut, qui a longtemps travaillé dans le domaine des soins palliatifs. Mon expérience dans le domaine a fait en sorte que j’ai pu lui expliquer toutes les étapes. Sa plus grande crainte était de mourir étouffé. Dans la dernière semaine, il se voyait dépérir et commençait à avoir hâte de partir. Mais il n’a jamais regretté sa décision de ne pas prendre de traitements. Ça lui a permis de conduire son auto et de se promener encore plus longtemps. Mais à la fin, il était serin. Il était prêt. »

Le jeudi après-midi avant son décès, Martel a reçu un coup de fil de Lisa-Michelle, lui disant que son père avait perdu l’usage de la parole depuis 11h cette même journée. Rick s’était dit qu’il irait le voir le lendemain matin, mais a finalement changé et est allé le voir le soir-même.

« Il était conscient, il n’était pas dans un coma, relate-il. Je me suis mis à lui parler à l’oreille et quand je lui parlais, il respirait encore plus fort, comme s’il voulait me répondre. L’infirmière m’a dit qu’il m’entendait. »

Le lendemain matin, à 7h25, Frenchy décédait.

Lisa-Michelle est demeurée à ses côtés lors des trois dernières semaines. Son fils JJ était venu le voir une dernière fois au mois d’août, en compagnie de deux grands amis de son père, l’ancien lutteur Richard Charland et le promoteur américain Gary Hatthaway. D’ailleurs d’autres anciens lutteurs tels qu’Hugo Savinovich (qui a longtemps été le commentateur espagnol pour la WWE) et Reynald Dubé sont allés voir Frenchy au cours des derniers mois.

Les réactions de son décès furent nombreuses. De René Goulet à Fernand Fréchette, en passant par Gilles Poisson et Neil Guay, tout le monde était attristé.

« Il était aimé par les boys. C’était un bon entertainer, il pouvait faire des matchs avec n’importe qui », s’est souvenu Paul Leduc.

Son ancien patron Gino Brito en garde aussi un bon souvenir.

« Il était bon en équipe. Il me faisait rire, il faisait rire tout le monde. Il faisait claquer son dentier et tu aurais juré qu’il dansait la claquette. Il prenait les choses trop à la légère des fois. C’est pour ça que je le mettais en équipe, il n’avait pas le choix de suivre. Mais il était fiable. Il ne manquait jamais un show. Il faisait rire le Géant aussi. Quand on avait notre bureau au Centre Paul-Sauvé, il venait s’asseoir avec nous avec quelques bières parce qu’il faisait rire le Géant. Je n’ai pas de mauvais souvenirs de lui. Il était un bon vivant qui ne s’en faisait pas trop avec la vie. Tu pouvais lui dire qu’il avait eu un bon match ou un match moins bon, il avait la même réaction! »

Mais pour Rick Martel, il était plus qu’un simple ami.

« Il avait le même humour que mon frère, alors il me rappelait beaucoup Michel après que ce dernier nous ait quitté, raconte Rick. Ça m’a fait beaucoup de bien dans ces années-là. Lorsque j’allais le voir dans les derniers mois, on se rappelait des bons moments, de son humour spécial qu’il a conservé jusqu’à la dernière minute. Il ne l’a jamais perdu. Il était devenu la vedette du centre. On parlait beaucoup de mon frère aussi. Je perds un témoin de cette époque-là, un ami avec qui je pouvais parler de ce temps-là. »

Frenchy, la dernière fois que je l'ai vu, entouré de Pat Patterson et Rick Martel.

Frenchy, la dernière fois que je l’ai vu, entouré de Pat Patterson et Rick Martel.

Bien que certains internautes ont critiqué la WWE pour ne pas avoir débuté Monday Night Raw avec un hommage à Frenchy (la fameuse photo avec les années de naissance et de décès comme pour Maurice Vachon par exemple), la réalité est que la carrière de Frenchy à la WWE n’a pas été assez longue. Et contrairement aux Vachon ou Nick Bockwinkel par exemple, Frenchy n’a pas été champion du monde d’une grosse organisation. Mais ça ne lui enlève rien. Et à la défense de la WWE, Howard Finkel a téléphoné à Rick pour lui offrir ses sympathies au nom de la WWE et lui a mentionné qu’une mention du décès serait publiée sur le site web de la compagnie. Quelque chose que Rick lui-même a bien apprécié.

« J’ai trouvé ça bien qu’il prenne le temps d’appeler et qu’il mette un article avec une photo sur le site. Cela a été fait avec respect. »

Le 10 septembre dernier, Pat Patterson, Rick Martel, Bertrand Hébert et moi-même lui avions rendu une visite. Pendant 30 minutes, Frenchy et ses deux amis ont raconté une histoire après l’autre. Bertrand et moi ne faisions qu’écouter. Lorsqu’est venu le temps de partir, c’était difficile. Que dit-on à quelqu’un que nous voyons pour la dernière fois. Je l’ai remercié pour tout et lui ai souhaité bon courage.

Je savais que je venais de voir Frenchy pour la dernière fois.

En rafale…

– Une cérémonie pour Jean « Frenchy Martin » Gagné aura lieu ce samedi, le 29 octobre, de 13h à 15h à la sale Daigle du Centre Horizon, au 801 4e rue à Québec. Tout le monde y est invité.

– Brian Blair, l’ancien Killer Bee et maintenant président du Cauliflower Alley Club, a envoyé un chèque de 1000$ américains de la part de l’organisation pour ainsi aider aux funérailles. Un geste de grande générosité qui représente bien l’une des raisons d’être du CAC.

– En mon nom, celui de Bertrand Hébert et de toute l’équipe de Lutte.Québec, j’aimerais souhaiter mes plus sincères condoléances à la famille et aux amis de Frenchy. Merci Frenchy pour tous les souvenirs, les histoires, mais surtout tes présences à nos lancements et l’entrevue que tu m’avais accordée pour notre livre. Je n’oublierai jamais ces moments. Repose en paix.

Resto-Bar
Cette chronique est une presentation du Resto-Bar Coin du Métro. Le Resto-Bar Coin du Métro, 10 719 Lajeunesse, l’endroit par excellence pour tous les événements sportifs tels que le hockey, le soccer, la boxe, la lutte et le football à Montréal! Vous pouvez aussi consulter leur page Facebook.

Bonne lutte à tous et à toutes!

Si vous avez des questions, des suggestions ou des commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec moi au patric_laprade@lutte.quebec, sur ma page Facebook ou sur mon compte Twitter.

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