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24/12/2015 | Chroniques

Il y a 30 ans, la lutte au Québec perdait 3 acteurs d’importance

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La nuit du 23 au 24 décembre 1985 marque probablement l’événement le plus triste de l’histoire de la lutte au Québec. Cette nuit-là, dans le Parc des Laurentides, les lutteurs Pierre « Mad Dog » Lefebvre et Camille Tourville (Tarzan « La Bottine » Tyler), de même que l’arbitre Adrien Desbois, trouvent la mort dans un accident de voiture.

Après un gala au Centre Georges-Vézina de Chicoutimi, Lefebvre, Tyler et Desbois prenaient la route en direction de Montréal. Il y avait une grosse tempête de neige et les conditions routières n’étaient pas faciles. « C’était la veille de Noël et Tyler tenait à revenir à Montréal », se rappelle le promoteur Gino Brito. Ils avaient pris la voiture de Desbois et après avoir arrêté pour mettre de l’essence, c’est Lefebvre qui avait pris le volant, avec Tyler à ses côtés et Desbois sur la banquette arrière.

« Je venais de lutter contre Pierre… », de dire Sunny War Cloud, dans ce qui fut malheureusement le dernier combat de Lefebvre.

« On avait jasé toute la soirée de nos plans pour l’été suivant », se souvient le meilleur ami de Lefebvre, Raymond Rougeau.

Étant parti après son ami, Rougeau, qui voyageait avec son frère Jacques, Dino Bravo et Brito, était arrêté à l’Étape, halte routière bien connue située en plein milieu du Parc.

« Un gars qui travaillait là-bas m’avait dit que mon chum Pierre Lefebvre venait de partir quelques minutes avant que j’arrive », se rappelle-t-il.

C’est d’ailleurs un peu passé cette halte, vers 1h25 du matin, que Lefebvre perdit le contrôle du véhicule. Dans sa dérape, il a changé de voie et un camion-citerne qui s’en venait de l’autre côté l’a frappé de plein fouet. La route 175 qui traverse le Parc en était une à l’époque qui avait seulement une voie vers le nord et une vers le sud. L’impact a propulsé la voiture dans le fossé et les trois sont décédés sur le coup.

Plusieurs personnes sont passées par là après l’accident.

Pierre "Mad Dog" Lefebvre fut champion de Lutte Internationale au début des années 80

Pierre “Mad Dog” Lefebvre fut champion de Lutte Internationale au début des années 80

« Quand j’ai vu l’auto dans le fossé, je me souviens m’avoir dit qu’ils n’étaient pas vivants certain. Mais je ne savais pas qu’il s’agissait de Pierre, Adrien et Tarzan », se souvient Rick Martel, qui a appris la nouvelle le lendemain matin par le promoteur de la ville de Québec, Stan Marshall.

« On a vu un camion-citerne en jacknife sur l’accotement. Ça venait d’arriver, il n’y avait pas encore de policiers. On s’est dit qu’il avait été chanceux de ne pas prendre le fossé. Mais on n’avait pas vu la voiture, sinon, je l’aurais reconnue tout de suite », de raconter Rougeau, qui fut avisé de l’accident par l’un de ses amis du Lac Saint-Jean.

Un peu plus tard cette nuit-là, Frenchy Martin arrête lui aussi à l’Étape. Le gars à la pompe lui parle donc de l’accident.

« Heille, c’est pas drôle pour Pierre », lui dit-il.
« Comment pas drôle pour Pierre? »
« Ben Pierre Lefebvre. C’est mon père qui a été le chercher avec le câble. »

Ne comprenant pas de quoi le jeune parlait, Martin entre à l’intérieur pour s’acheter un café. Quelques chauffeurs de camion y étaient et l’un d’eux en parla avec Martin et c’est alors que ce dernier comprit ce qui c’était passé.

« Les gars ont pas été chanceux », lui dit-il
« Qu’est-ce qu’il y a eu? », répondit Martin.
« T’es pas au courant Frenchy ? »
« Ben non. »
« Les gars ont eu un accident ici y’a pas longtemps, y a une couple d’heures. »

Chez les Desbois, c’est l’arbitre Pierre Bertrand qui les a avisés de la nouvelle.

« Pierre était le mari de ma grand-mère, la mère de ma mère, et il nous avait appelé vers les 5h30 du matin », se souvient Danny, le fils d’Adrien, âgé de 12 ans au moment de l’accident.

Du côté des Lefebvre, c’est Stan Marshall qui a avisé la famille.

« Il était environ 5h du matin. Un promoteur que je ne connaissais même pas m’a appelé pour me dire que Pierre avait eu un accident. Je ne le croyais pas. Je lui disais d’arrêter de niaiser. Mais il a insisté qu’il disait vrai. J’ai ensuite ouvert la radio puis la télé et ils en parlaient », se souvient Micheline Labranche, la conjointe de Lefebvre.

Les réelles raisons derrière l’accident ont probablement été emportées avec les défunts. Par contre, tous et chacun ont leur théorie là-dessus. La plupart s’entendent pour dire que l’alcool n’était pas un facteur. Gilles « The Fish » Poisson, ex-lutteur et expert en entraînement a d’ailleurs une intéressante théorie.

« Après un match de lutte, tu perds cinq à sept livres. Alors, même s’ils avaient pris une couple de bières, ça n’aurait rien changé. Ça en aurait pris beaucoup plus pour ressentir un effet. »

Est-ce que Pierre Lefebvre s’est endormi au volant? Selon le rapport d’enquête, le chauffeur du camion avait dit que la voiture n’avait jamais essayé de l’éviter. Néanmoins, la théorie la plus probable est qu’il a tout simplement dérapé dû aux conditions routières.

Au moment de son décès, Tarzan "La Bottine" Tyler était devenu gérant. On le voit ici avec l'un de ses protégés, Superstar  photo: Linda Boucher

Au moment de son décès, Tarzan “La Bottine” Tyler était devenu gérant. On le voit ici avec l’un de ses protégés, Superstar photo: Linda Boucher

« Les conditions routières dans le Parc l’hiver, c’est de la vraie marde, c’est glissant pis tu vois rien. Ça arrivait fréquemment qu’il y avait des accidents », de dire le Saguenéen Rancourt.

Étant originaire du Lac Saint-Jean, Gilles Poisson le seconde.

« Le parc à ce temps-ci de l’année est très dangereux. Même ceux qui habitent dans ce coin-là, ça arrive qu’ils dérapent. Ça m’est arrivé moi-même. »

Les trois étaient des acteurs importants au sein de Lutte Internationale et Rick Martel, qui était l’un des actionnaires à ce moment-là, résume bien la pensée de plusieurs lutteurs de cette époque.

« Ça nous a donné un gros coup, parce que c’était nos amis puis parce que c’étaient des gars importants pour nous. »

Si ce fut un triste jour pour la lutte québécoise, c’en fut un encore pire pour les familles. Et 30 ans plus tard, les émotions sont encore très présentes.

« C’était toujours le fun avec mon père. Il était si souvent sur la route que lorsque je le voyais, je ne me faisais jamais chicaner, je trippais toujours, raconte Danny Desbois. On ne s’ennuyait pas avec mon père. Il m’emmenait au Centre Paul-Sauvé, à la Formule 1, on avait des billets dans les rouges au Forum, tout ça parce qu’il était Adrien Desbois. 30 ans plus tard, j’aimerais savoir où notre relation serait rendue. Comment aurait été ma vie avec lui à mes côtés. »

Pour les Lefebvre, le choc a été fort, surtout pour le petit Sébastien, âgé que de six ans au moment de l’accident.

« Après l’accident, il ne savait plus comment écrire ou comment lire, raconte Micheline. Il a dû aller dans une école spéciale. Son père c’était son idole. Il le voyait à la télé régulièrement. Ça a pris du temps avant qu’il s’en remette. C’était différent pour ma fille, Caroline, car elle n’était âgée que de trois ans. »

Étant plus vieux que Sébastien, les difficultés se sont avérées autres pour Danny.

« Le plus dur pour moi est que soudainement, à 12 ans, je suis devenu l’homme de la famille. J’avais des responsabilités que je n’aurais pas dû avoir et ce fut extrêmement difficile. J’étais quelqu’un qui n’avait pas beaucoup d’amis. J’en n’avais pas besoin, j’avais mon père. J’ai donc dû apprendre à me faire des amis », partage Danny, qui a aussi une sœur, Nancy, qui était âgée de sept ans en 1985.

Adrien Desbois était dans les années 80 l'arbitre en chef. Il était de tous les grands événements comme ce combat de championnat entre Bob Backlund et The Destroyer

Adrien Desbois était dans les années 80 l’arbitre en chef. Il était de tous les grands événements comme ce combat de championnat entre Bob Backlund et The Destroyer

Danny est le seul enfant des trois défunts à avoir pratiqué la lutte professionnelle pendant un certain temps, ayant lutté une dizaine d’année du milieu des années 90 à 2007, luttant surtout pour l’ICW de Ludger Proulx et la FLQ de Paul Leduc, principalement dans une équipe avec François L’Espérance (Scream) appelée Sexy Vicious Stallions (SVS).

« J’avais le goût de vivre ce que mon père avait vécu, raconte-t-il. J’avais croisé le lutteur Guy Ranger et il m’avait invité à venir les voir à l’ICW. Le monde me connaissait plus que je les connaissais eux-mêmes. Et parce que j’étais le fils d’Adrien, je l’ai eu plus facile. Mais après un certain temps, j’avais vécu ce que j’avais à vivre et j’ai arrêté. »

Du côté de Sébastien, la lutte n’a jamais été un objectif.

« Je ne pensais pas qu’avec ma grandeur et étant Québécois, que j’aurais pu percer, raconte celui qui a atteint l’âge adulte à la fin des années 90. Mais je me suis toujours gardé en forme et depuis un peu plus d’un an, je pratique le culturisme. »

Pourtant, en vieillissant, Sébastien est devenu une copie conforme de son père.

« Il y a une dizaine d’années, j’étais dans une fête dans l’ile à St-Sulpice quand mon frère Armand m’a avisé que le fils de Pierre serait ici, raconte Raymond Rougeau. Quand je l’ai vu la mâchoire m’a tombé ! Il avait la même physionomie, la même grandeur, les mêmes dents, je n’en revenais pas. Il a fallu que je me ressaisisse à un moment donné, parce que dans ma tête, je ne parlais plus à son fils, je parlais carrément à Pierre ! »

La rencontre a aussi été importante pour Sébastien.

« Je savais que mon père avait été le meilleur ami de Raymond. Je voulais en savoir plus sur lui, quand il a grandi et tout. J’avais des oncles qui me parlaient de lui, mais là c’était différent. »

Et Raymond continue :

« Ma conjointe Louise a assisté à cette rencontre et elle m’avait dit après que le fils à Pierre était pendu à mes lèvres quand je lui parlais de son père », ajoute-il avec un brin de nostalgie.

La carrière de Pierre Lefebvre est probablement le plus grand what if de l’histoire de la lutte au Québec, car il est décédé juste avant que la WWF ne commence à signer les plus gros noms d’ici comme les Rougeau, Martel, Bravo et Martin.

Si certains pensent qu’il aurait été signé par la WWF, Micheline est certaine que Pierre n’aurait pas dit non.

« Il ne parlait pas de retraite, ça c’est sûr. Il aimait tellement ça la lutte. Il n’aurait peut-être pas fait ça toute sa vie, mais il aurait été à la WWF s’il en avait eu l’occasion et je ne l’aurais pas empêché d’y aller. »

Tyler était âgé de 58 ans et laissait dans le deuil son épouse ainsi que ses filles Joanne et Ginette qui vivent toutes les deux aux États-Unis. Desbois n’avait que 35 ans et laissait aussi dans le deuil son épouse Christiane, tandis que Lefebvre avait 30 ans.

Les amateurs de lutte de cette époque n’ont certes pas oublié Tarzan, Adrien et Pierre et pour Sébastien, c’est important.

« Je trouve ça valorisant de savoir que les amateurs se souviennent encore de lui. C’est spécial pour moi. »

***********

J’aimerais remercier Mme Micheline Labranche, Sébastien Lefebvre ainsi que Danny Desbois pour leur collaboration à cet article et pour avoir partagé leurs émotions et réactions avec moi, en ce triste anniversaire. Je vous souhaite tout de même un joyeux temps des Fêtes et que la mémoire de chacun d’eux demeure avec vous à jamais.

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