Suivez-nous sur Facebook
29/07/2021 | Chroniques

Le poing: Lyzbeth McHellin, la première lutteuse transgenre du Québec

LIRE L'ARTICLE PRÉCÉDENT
Marc Blondin et Handsome JF aux commandes d'Impact
LIRE L'ARTICLE SUIVANT
Le Poing: Zak Patterson, une recrue pas comme les autres

Lyzbeth McHellin

Pat Laprade

Pat Laprade

Samedi, le 17 juillet dernier, Lyzbeth McHellin est devenue la première femme transgenre de l’histoire du Québec à lutter dans un match en simple et à remporter un titre. À une époque où de plus en plus d’athlètes s’affichent publiquement comme faisant partie de la communauté LGBTQ+, l’histoire de Lyzbeth est importante tant par son penchant historique que par le message qu’elle envoie. Son parcours, autant personnel que professionnel, n’a pas toujours été de tout repos, on s’en doutera, mais il s’agit d’un parcours inspirant, qui mérite d’être raconté.

Né Alexandre Marcoux à St-Jean-sur-Richelieu le 1er juin 1986, l’enfant qu’elle était à l’époque commence à écouter la lutte avec son grand-père, un fan fini.

« On n’a jamais été grands chez les Marcoux. Je suis l’une des plus grandes et je fais 5 pieds 6. Alors j’étais attiré par les géants : Undertaker, Kane, Kevin Nash, Big Show », dit-elle, en entrevue.

C’est à l’âge de 16 ans qu’Alexandre fait ses débuts dans le monde de la lutte professionnelle, après avoir été entraîné par Serge Jodoin, celui-là même qui avait entraîné Kevin Owens à ses tout débuts. Un an plus tard, Alexandre sort du placard et s’affiche comme homme gai, une nouvelle difficile à prendre pour certains.

« J’ai toujours su que je n’étais pas comme les autres, sans pouvoir mettre des mots sur mes maux, explique-t-elle. Quand je suis sorti du placard, ça a été plus difficile à accepter pour mon père. »

De 2002 à 2012, Alexandre, sous le nom d’Alexander McHellin, lutte de façon régulière, particulièrement sur la Rive-Sud de Montréal et en région, pour des promotions comme la CCW Montérégie, la GEW à Granby et la FCL à Shawinigan.

« Pas une tapette comme champion… »
Même s’il deviendra entraîneur à Granby, son homosexualité ne convient cependant pas à tout le monde.

« Dans une des promotions de lutte où je luttais, on m’a laissé comprendre qu’il y avait des pressions en arrière-scène et qu’un des dirigeants ne voulait pas avoir une tapette comme champion », explique-t-elle, avec dépit.

Alexandre ne se sent pas respecter dans cette activité qui, en fin de compte, ne lui rapporte pas grand-chose. Les lutteur.es sur le circuit indépendant sont bien souvent non-rémunéré.es ou très peu. Ça arrive encore aujourd’hui, c’était une plus grande réalité il y a dix ans.

Après une décennie à vivre une passion et à lutter régulièrement, Alexandre décide de quitter la lutte et d’en profiter pour retourner aux études. Il s’inscrit dans un baccalauréat en études politiques appliquées à l’Université de Sherbrooke et y déménage.

Quelques années après avoir gradué, il se renseigne sur une éventuelle transition.

« Quand j’étais petit (NDLR : Lysandre parle d’elle-même au masculin lorsqu’elle fait référence à ses années prétransition), on parlait de travestis, mais les termes transsexuels et ensuite transgenres étaient peu connus. C’est donc en regardant YouTube que j’ai vu que ça existait et que c’était possible. Je m’étais toujours dit que ma vie serait plus facile si j’étais une femme. »

Au revoir, Alexandre. Bienvenue Lysandre!
C’est alors que débute sa transition. Alexandre visite un spécialiste et commence une hormonothérapie, un cheminement qui n’est pas facile, autant socialement que personnellement.

« Il y a des effets secondaires avec les hormones. Tout est un ajustement. La testostérone te donne une drive que j’ai moins maintenant. Mon caractère a beaucoup changé. »

C’est à ce moment qu’Alexandre devient Lysandre.

« Je voulais garder le andre de mon nom et comme je suis une personne amoureuse de son Québec, je voulais y ajouter Lys. C’était important pour moi de garder une partie de mon ancien nom. Alexandre va toujours rester une partie de moi. Je voulais le féminiser sans que ce soit Alexandra ou Alexe.

Malgré l’appui de la plupart des membres de sa famille, son choix ne fait pas l’unanimité.

« Mon frère, qui a aussi lutté pendant quelques années sous le nom de Cyan, a très bien pris ma transition. On a une super belle relation. On dit souvent qu’on partage le même cerveau. Le reste de mon entourage a pris un peu de temps pour s’habituer. C’est normal. Ils vont parfois m’appeler par mon ancien nom ou vont utiliser il au lieu du elle. Mais je suis compréhensive. Il y a une période d’adaptation des deux côtés. Même moi, il m’arrive de mal conjuguer un mot! Dans ma famille, seule ma marraine a arrêté de me parler. Elle est très croyante et pour elle, elle est la marraine d’Alexandre, pas de Lysandre. Mais c’est correct. Je n’ai pas le contrôle là-dessus. Je me suis trouvé une marraine d’adoption depuis. »

Pour son père, la pilule est plus facile à avaler et il se trouve une façon bien à lui de lui en parler.

« Ça a été un moins gros choc pour mes parents que lorsque je leur ai annoncé que j’étais gai. J’avais demandé à ma mère d’en parler à mon père. Il m’a appelé par Skype et m’a dit ‘Comme ça, y a du changement!’ Ça s’est bien passé. Il aimait mieux me voir heureuse que malheureux. »

Au moment où sa transition débute, elle a un emploi depuis quatre ans en Outaouais. Mais son patron immédiat est croyant, conservateur dans sa philosophie et n’accepte pas la transition de son employée. Lysandre subit alors du harcèlement psychologique. En épuisement professionnel, elle décide de quitter son poste et de revenir près de St-Jean, à Farham, afin de se rapprocher de sa famille.

Retour à la lutte, un moment historique
La lutte n’était jamais bien loin et même si elle avait arrêté de lutter depuis plusieurs années, elle avait continué à suivre le produit local.

En 2018, alors qu’elle est présente à un événement de la GEW, devenue GEW Classique, on lui fait savoir qu’il manque un arbitre. Lysandre offre ses services et remonte dans une arène pour la première fois en six ans. Puis, d’autres promotions commencent à l’utiliser dans ses nouvelles fonctions.

En février 2020, la LLCV, une organisation de lutte dans Lanaudière, propriété de Yannick Noël, prépare une histoire pour un éventuel retour dans le ring, comme lutteuse cette fois-ci.

Une bataille royale est organisée, pour laquelle Lysandre est arbitre. Mais les choses évoluent durant le combat et elle finit par y participer, sans toutefois remporter le match. Elle devenait ainsi la première femme transgenre à participer à un combat de lutte dans les 150 années d’histoire de lutte au Québec.

Cela devait être le début de son retour comme lutteuse à temps plein, mais comme on le sait, en mars 2020, la pandémie est venue contrer les plans.

Cela a permis à Lysandre de compléter sa transition.

Elle a subi deux opérations, soit une aux seins, ainsi qu’une vaginoplastie.

« Aucune opération n’est nécessaire pour être transgenre, précise celle qui est maintenant âgée de 35 ans. Mais ça allait de soi pour moi. Je suis très satisfaite de ma décision. »

Nyla Rose, la plus connue
À l’échelle mondiale, on retrouve quelques lutteuses transgenres : Mariah Moreno, Harley Ryder, Candy Lee et bien sûr, la plus connue de toutes, l’ex-championne féminine d’AEW, l’Américaine Nyla Rose.

J’ai parlé avec Candy Lee, une Néo-Zélandaise que j’avais rencontrée à SHIMMER en 2019, question d’en savoir plus sur les défis qu’elle avait pu avoir dans ce milieu composé principalement d’hommes.

« Le plus gros défi est d’obtenir l’acceptation et le respect des autres, parce que c’est tellement quelque chose qui est étranger aux gens, souligne celle qui a commencé à lutter en 2017. Mais j’ai réalisé que ça commence avec soi-même. Je suis à l’aise et fière de qui je suis, alors ça aide parce qu’être authentique et vraie va toujours être bien vu. »

L’an dernier, Rose et Lee ont toutes les deux étés votées dans le classement des 100 meilleures lutteuses au monde par le comité du magazine Pro Wrestling Illustrated, un comité auquel je siège d’ailleurs. Si Lee s’est classée au 92e rang, Rose a pris la 16e position, deux choix qui inspirent McHellin.

« C’est un de mes rêves de faire partie de ce classement », avoue-t-elle.

Premier match, premier titre
Avec le retour graduel des événements de lutte en province, un spectacle hommage à un lutteur décédé l’an dernier, Johnny Kruger, est organisé au camping Bernard de Ste-Mélanie, co-présenté par la LLCV, la WTA et la RWA.

Lyzbeth McHellin, première lutteuse et championne transgenre au Québec  crédit: Yannick Noël

Lyzbeth McHellin, première lutteuse et championne transgenre au Québec crédit: Yannick Noël

C’est alors que l’idée de donner un titre féminin à Lysandre émerge.

« Certaines personnes venaient faire des pratiques dans mon garage quand j’ai su que j’aurais deux matchs sur cette carte hommage, explique le promoteur Yannick Noël. Lysandre et Steven the Sweet Boy étaient deux de ces personnes et voulaient travailler ensemble. C’est alors qu’on a monté une histoire avec comme enjeu une des ceintures vacantes. Si Sweet Boy gagnait, il empêcherait la division féminine de se former. Si Lysandre gagnait, elle serait la championne féminine. »

Affronter un homme, le scénario idéal?
Un premier match en simple depuis sa transition et on lui donne un homme comme adversaire? C’est un scénario auquel je ne croyais pas lorsqu’il m’a été présenté le matin du combat. Je croyais et je crois encore que le premier match de Lysandre aurait dû être contre une femme, afin de bien l’établir dans la division féminine. D’autant plus que le match était pour le titre féminin.

J’avais d’ailleurs échangé avec Lysandre là-dessus et je lui avais déconseillé d’accepter le scénario. Cependant, la décision lui revenait.

« J’y ai bien réfléchie après notre discussion, mais je ne voulais pas aller à l’encontre de Yannick, qui est une personne très près de moi. Moi dans la vie, je vois des personnes, pas des sexes. Sweet Boy est le champion, je voyais donc ce match comme une belle façon de montrer qu’une femme pouvait battre un homme et aussi, comme une façon de m’établir dans la promotion. »

Pour sa part, Noël a aussi eu des doutes, mais a décidé d’aller de l’avant.

« J’y ai repensé après que certaines personnes m’en aient parlé. Ça m’a fait hésiter. Mais puisque Sweet Cherrie venait lui donner la ceinture et la confronter à la fin, j’ai décidé de le faire. Ce fut tout un honneur d’être les premiers à lui donner une chance », explique Noël, qui attend que la limite de spectateurs puisse augmenter dans les salles avant de sortir son calendrier régulier.

« Je n’ai jamais eu de mauvais commentaires en luttant contre des hommes, ajoute Candy. J’aime le fait que je suis respectée pour la femme que je suis, alors lutter contre un homme n’a jamais rien changé. En fait, c’est l’inverse. Les fois que j’ai eu des commentaires disgracieux, je luttais contre des femmes, mais je sais que c’est seulement de l’ignorance de la part de certains amateurs. »

En fin de compte, le match de 15 minutes s’est très bien déroulé. Les gens ont accepté la proposition. Ils ont hué Sweet Boy parce qu’il voulait anéantir la division féminine et ont applaudi Lyzbeth pour sa victoire.

« Je n’aurais pu demander mieux. C’est certain que j’aurais aimé gagner le titre face à une lutteuse comme Sweet Cherrie, LuFisto, Angie Skye ou Kalamity. Mais je suis tellement contente d’avoir travaillé avec Sweet Boy. C’est une journée qui va toujours rester marquée dans ma tête. Il a été un adversaire en or! »

Et la réaction du vestiaire?

« Bien aussi. Je suis tellement ouverte. J’aime beaucoup mieux quelqu’un qui va poser des questions, qu’un autre qui va faire des assomptions. Tant mieux si je peux éduquer certaines personnes en même temps. C’est aussi pour ça que je tiens à faire parler de mon histoire. Je veux pouvoir représenter ma communauté. Il y a de jeunes transgenres qui viennent me parler, me demander conseil. »

Une inspiration pour plusieurs
Maintenant que la lutte reprend tranquillement, Lysandre a des plans bien précis pour son futur dans le monde de la lutte au Québec.

« J’essaye de trouver du booking au clan qu’on vient de créer, un clan interpromotionnel qui s’appelle Pride Wrestling for All, avec des membres et des alliés de la communauté LGBTQ+. À date, le clan comporte Black Widow Eve, Yannick Noël, Zack Black et moi-même. Sur une note plus personnelle, avant de me retirer, j’aimerais affronter Sweet Cherrie, LuFisto et Beast King. Et je vais aussi défendre mon titre féminin de la LLCV! Le match contre Sweet Cherie est presque confirmé.»

Finalement, Lysandre Marcoux, dans son personnage de Lyzbeth McHellin, veut envoyer un message. Un message autant aux personnes transgenres qu’aux jeunes filles, comme quoi tout est possible dans la vie. Et elle est bien partie pour réussir.

« Après mon combat de championnat, il y a une petite fille qui est venue me voir et qui m’a demandé si, un jour, elle pourrait être championne comme moi. Je lui ai dit qu’elle pourrait devenir ce qu’elle voulait dans la vie! C’était tellement un beau moment! »

RÉAGISSEZ CI-DESSOUS

commentaire(s)

test
LIRE L'ARTICLE PRÉCÉDENT
Marc Blondin et Handsome JF aux commandes d'Impact
LIRE L'ARTICLE SUIVANT
Le Poing: Zak Patterson, une recrue pas comme les autres