Suivez-nous sur Facebook
19/09/2017 | Chroniques

Le Poing: Bobby « The Brain » Heenan, le meilleur gérant de tous les temps

LIRE L'ARTICLE PRÉCÉDENT
Le Poing: Les « pelleteux de nuages » et le côté obscur de la lutte
LIRE L'ARTICLE SUIVANT
Le Poing: Éric Denis, un lutteur respecté et apprécié de tous

bobby-heenan-01

Pat Laprade

Pat Laprade

Pour les fans de lutte du Québec, le « Brain » c’était Eddy Creatchman. Pour les fans de lutte partout ailleurs en Amérique du Nord, le « Brain » c’était Bobby Heenan.

Les amateurs de ma génération se souviennent de lui pour ce qu’il a fait à la WWF dans les années 80 et ce qu’il a fait à la WCW dans les années 90.

De Big John Studd, son premier protégé à la WWF, à Andre the Giant, en passant par « Ravishing » Rick Rude, Paul Orndorff, King Kong Bundy, Harley Race, The Brain Busters, The Islanders, Ken Patera et Mr. Perfect, tous ces lutteurs ont fait partie de ce qui était appelé la « Heenan Family ». Un clan qui n’en était pas un vraiment, car le seul lien entre tous ces gladiateurs du ring était leur gérant.

Et quel gérant il était.

Autant capable de parler au micro que de prendre un tombé dans l’arène, il était bon dans tout ce qu’il faisait.

« Il était très connaissant de la business, il avait une très bonne compréhension de la psychologie d’un match de lutte, explique Raymond Rougeau. Son opinion était crédible et pouvait influencer ta décision. Il avait une excellente réputation, un pro qui avait la business à cœur, et le gérant le plus influent. »

De Chicago à Atlanta, toute une carrière
Peu le savent, mais Heenan a débuté sa carrière comme lutteur dans son Chicago natal. Né Raymond Louis Heenan le 1er novembre 1944, il utilise le sobriquet de « Pretty Boy » Bobby Heenan à ses débuts. À 6 pieds, 190 livres et truffé d’une chevelure blonde platine, il était considéré trop petit comme lutteur pour les années 60, c’est pour dire comment l’industrie a changé. À cause de sa stature, il commence à accompagner des lutteurs au ring. Il lutte encore de temps en temps, mais double comme gérant de plus en plus souvent. Puis en 1967, il commence à travailler plus régulièrement alors qu’il s’aligne avec la WWA de Dick the Bruiser et Wilbur Snyder, une promotion basée à Indianapolis. Angelo Poffo (le père de Randy Savage), les frères Valiant et les Blackjacks, particulièrement Blackjack Lanza, font partie de ses premiers protégés. Mais en 1974, après une dispute salariale avec Bruiser, il quitte pour l’AWA de Verne Gagne, où il commencera vraiment à avoir du succès.

Étant donné que le surnom « Pretty Boy » était déjà pris par Larry Hennig (le grand-père de Curtis Axel et père de Mr. Perfect), il opte pour « The Brain », le surnom qu’il gardera jusqu’à la fin de sa carrière. Il est tout d’abord utilisé avec deux des meilleurs lutteurs de l’époque, Nick Bockwinkel et Ray Stevens, qui formeront une équipe sensationnelle, puis graduellement qu’avec Bockwinkel, avec qui il forme un duo du tonnerre.

« Dans les années 70, Heenan trainait le territoire sur ses épaules, affirme le réputé journaliste Dave Meltzer, lors d’une entrevue avec Lutte.Québec. Bockwinkel et Bobby sont probablement le meilleur duo lutteur/gérant qui n’a jamais existé. Ils étaient toujours en finale et étaient la clé du succès pour l’AWA. »

Mis à part un bref passage à Atlanta pour la Georgia Championship Wrestling, il demeure avec l’AWA jusqu’en 1984. C’est alors qu’il fait le saut à la WWF, devenant l’une des dernières vedettes de l’AWA à faire le saut, alors que plusieurs autres l’avaient fait avant lui tels que « Mean » Gene Okerlund, Ken Patera, Adrian Adonis, Jesse Ventura et le plus grand nom de tous, Hulk Hogan.

Lors des trois premiers WrestleMania, Heenan aura comme poulains Big John Studd (dans un match contre Andre), King Kong Bundy (dans son match de championnat face à Hogan) et bien entendu Andre the Giant, en finale du fameux match contre Hogan à WrestleMania III.

« Le heel turn d’Andre n’aurait pas fonctionné de la même façon si ça n’avait pas été de Heenan », soutient Meltzer.

Il a par la suite géré Rick Rude jusqu’au championnat Intercontinental, les Brain Busters (Tully Blanchard et Arn Anderson) et la Colossal Connection, l’équipe composée d’Andre the Giant et de Haku (King Tonga pour les plus anciens) jusqu’aux titres par équipe et sans oublier Ric Flair lorsque ce dernier a fait ses débuts à la WWF, alors que Heenan annonçait, avec la ceinture de la WCW, que le « vrai » champion du monde arriverait bientôt à la WWF, segments pour lesquels la WWF avait été poursuivi par son compétiteur.

En plus d’accompagner plusieurs lutteurs au ring, Heenan devient commentateur pour la WWF à compter de l’automne 1986, afin de remplacer Jesse « The Body » Ventura. Ce sont les débuts d’un duo dont les amateurs se souviendront pendant longtemps, alors qu’avec Gorilla Monsoon, il fera la pluie et le beau temps. Bien que les combats à Prime Time Wrestling, l’émission qui précédera dans un sens Monday Night Raw, n’avaient rien d’extraordinaires, les entrevues de Heenan et les vignettes que lui et Monsoon tournaient étaient parmi les choses les plus divertissantes qu’on pouvait voir à l’époque. Sans compter le Royal Rumble 1992, alors que ses commentaires lors du combat final, qui verra Ric Flair entrer troisième et remporter le titre de la WWF après avoir passé une heure dans le ring, sont devenus des classiques, peut-être même le meilleur match que Heenan n’ait jamais annoncé. J’ai des amis qui connaissent les répliques de Heenan dans ce match par cœur tout comme d’autres vont connaître les répliques de Slap Shot ou d’Elvis Gratton.

En 1993, il quitte finalement la WWF. Son départ (dans les histoires) est assez spectaculaire alors que c’est Monsoon qui le sort de l’aréna lui-même lors d’un des premiers épisodes de Monday Night Raw. Comme plusieurs à l’époque il se retrouvera à la WCW quelques semaines plus tard, où il remplacera une fois de plus Jesse Ventura comme commentateur, une blessure au cou obtenue au Japon 10 ans auparavant ayant mis un terme à sa carrière active de gérant. Bien qu’il y restera jusqu’en 2000, sa chimie avec ses collègues, que ce soit Eric Bishoff, Steve McMichael et encore plus, Tony Schiavone, n’aura jamais vraiment été présente. On est loin de ses années de gloire avec Monsoon.

Après avoir été ramené à quelques reprises par la WWE, la plus importante étant évidemment à WrestleMania XX alors qu’il est intronisé au temple de la renommée de la WWE, il travaillera quelque peu pour la TNA au milieu des années 2000, ainsi que pour ROH, avant de prendre une retraite définitive.

Des ennuis de santé qui le changeront à jamais
La santé de Heenan avait commencé à se détériorer en 2002, alors qu’il avait été atteint d’un cancer de la gorge qui l’avait affaibli considérablement. Il avait aussi perdu beaucoup de poids et sa voix avait changé. Puis, par la suite, les ennuis ont continué avec une infection à la mâchoire et une restructuration de celle-ci, avant que les médecins ne soient obligés de lui enlever la mâchoire complètement. C’est d’une ironie et d’une tristesse incommensurable qu’un homme avec tellement de talent et d’aisance pour s’exprimer ne pouvait même plus tenir une simple conversation.

« Je l’ai appelé juste un peu avant que l’ouragan Irma ait frappé en Floride, raconte l’ancien lutteur Baron Von Raschke, l’un de ses amis proches, lorsque je l’ai joins au téléphone. J’ai parlé à sa femme Cindy parce qu’il n’était plus en mesure de tenir une conversation, mais il était à côté d’elle. Ils étaient prêts pour l’ouragan et avaient décidé de rester à leur domicile. Il allait bien et rien n’avait vraiment changé depuis la dernière fois que j’avais téléphoné. Je l’avais appelé environ trois fois dans la dernière année. J’ai dit à sa femme de lui dire que c’était son « pal » qui appelait. On avait ce gag ensemble car Wally Karbo appelait tout le monde « pal ». Et je l’ai entendu dire au bout du fil « pal », alors je sais qu’il savait que c’était moi qui téléphonais. »

Le meilleur de tous les temps?
Évidemment, son décès a relancé le débat à savoir qui fut le meilleur gérant de tous les temps. En plus de Heenan, des noms comme Jimmy Hart, Jim Cornette, Paul Heyman et au Québec, Eddy Creatchman reviennent régulièrement. Pour Dave Meltzer, il n’y a pas de doute.

« Si on regarde la performance générale de Heenan, il se doit d’être classé premier. Comme gérant, Jimmy Hart à Memphis, avant qu’il ne fasse ses débuts avec la WWF, est le seul qui aurait pu s’en approcher, mais Heenan a performé dans plus d’endroits et pendant plus d’années. Au niveau des entrevues, Jim Cornette est celui qui se rapproche le plus de Heenan, et c’est normal car Cornette a beaucoup étudié les styles de Hart et de Heenan, mais comme Hart était dans le même territoire, il s’était plus inspiré de Heenan. Mais il n’arrivait pas à être aussi physique que lui. À la AWA, Heenan était l’un des meilleurs lutteurs dans l’arène, quelque chose qu’aucun autre gérant peut affirmer. Finalement, les meilleures entrevues de Heenan étaient meilleures que les meilleures entrevues de Heyman. Il ne faut pas oublier que Heenan faisaient beaucoup plus de promos que Heyman, du seul fait que les spectacles non-télévisés se vendaient basés sur les entrevues qui passaient à la télévision dans les différents marchés. Heenan devait donc trouver des façons d’être différents sur une base régulière. De plus, Heyman n’a jamais eu un Gene Okerlund ou un Gorilla Monsoon qui pouvait le nourrir à ses côtés. »

« The Brain » vs « The Brain »
Au Québec, Creatchman a toujours la cote des amateurs et il est difficile pour ceux qui ont connu ses années de gloire dans les décennies 70 et 80 de penser qu’il n’a pas été le meilleur gérant de tous les temps. La plus grande qualité de Creatchman était son habilité à se faire détester et à faire enrager les amateurs. Tout le monde et leur mère voulaient donner une volée à Creatchman. Créer une émeute pour Creatchman était aussi facile que crier ciseau. Il était petit, juif et anglophone, toutes de très bonnes raisons pour se faire détester d’une foule majoritairement catholique et francophone. Par contre, ses entrevues se voulaient surtout une pluie d’insultes alors que Heenan était plus subtile dans son propos. De plus, Creatchman n’arrivait pas à la cheville de Heenan comme lutteur dans l’arène. Le style de Creatchman ne plaisait pas à tout le monde. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’à part Detroit, il n’est jamais vraiment sorti de Montréal. À l’opposé, les performances de Heenan ont forcé le promoteur de St-Louis Sam Muchnick de l’utiliser sur une base régulière, lui qui n’utilisait presque pas de gérants. Bref, Creatchman demeurera une légende au Québec et fait partie des meilleurs gérants de tous les temps, sans pour autant détrôner Heenan au sommet de cette liste.

« La plus grande qualité de Heenan est que malgré le fait qu’il pouvait être si divertissant, il arrivait à l’être sans devenir babyface, explique Meltzer, une qualité que Heenan partage d’ailleurs avec Creatchman. Il savait quand être divertissant, mais aussi quand devenir plus vicieux et quand tricher. C’est quelque chose qui serait beaucoup plus difficile pour lui aujourd’hui. »

Mes rencontres avec Bobby
J’ai eu la chance de rencontrer Heenan à deux reprises. La première fois était le 16 avril 2005 à Dorchester, Massachussetts, pour un spectacle de Ring of Honor. Je m’y étais rendu avec Kevin Steen et El Generico (Kevin Owens et Sami Zayn). C’était lors de leur premier séjour avec la compagnie, avant que les deux reviennent en équipe en 2007. Steen avait d’ailleurs perdu contre le très excitant Vordell Walker dans le premier combat tandis que Generico avait perdu dans le second contre Roderick Strong. Heenan avait fait un débat de gérants avec Jim Cornette quelques mois auparavant. En cette journée, il allait accompagner nul autre que CM Punk. Je m’étais seulement présenté à Bobby en lui disant que moi et mes amis on était de gros fans de lui. Il avait été très courtois et avait même fait une blague.

La seconde fois fut onze ans plus tard, au Cauliflower Alley Club à Las Vegas. Bien que j’aie été en présence de Heenan à quelques reprises depuis qu’il avait changé de physionomie, je ne lui avais jamais reparlé. Par respect pour lui, je n’osais pas lui demander une photo, mais j’ai vu des gens en prendre et il avait l’air à l’aise avec ça. Je me suis donc approché de son épouse et je lui ai demandé si Bobby prenait des photos. Elle m’a répondu par l’affirmative. Je me suis penché (Bobby était dans un fauteuil roulant) et c’est alors qu’il me sort un doigt d’honneur et me dit quelque chose que je n’arrivais pas à comprendre. Sa femme se penche vers mon oreille pour me dire « Il fait dire qu’il est encore numéro un! ». Je suis parti à rire et nous avons pris une belle photo. Lorsque j’ai raconté l’anecdote à Raschke, il m’a avoué que Bobby faisait souvent ce gag. J’étais content de voir que malgré la maladie, il avait gardé son sens de l’humour.

Bobby Heenan, me démontrant qu'il est encore numéro 1!

Bobby Heenan, me démontrant qu’il est encore numéro 1!

« Parce que dans les dernières années il n’arrivait plus à communiquer vraiment, seulement sa femme le comprenait, explique Rashcke. Alors elle répétait les blagues que Bobby faisait. À un moment donné j’ai dit à Cindy, ‘tu sais que tu es en train de devenir l’une des personnes les plus drôles que je connaisse!’ »

Lorsque j’ai commencé à m’impliquer davantage dans le monde de la lutte professionnelle en 2001, un de mes amis, ancien scripteur de l’ICW et de la NSPW et maintenant annonceur maison pour la promotion d’arts martiaux mixtes TKO, Patrick Lono, m’avait suggéré d’écouter le shoot interview de Heenan avec RF Video. Quelle merveille! C’est dans cette entrevue qu’il sort des classiques comme :

« Est-ce que Verne Gagne a trop poussé son fils Greg ? »
« Non. Il ne l’a pas assez poussé. Il aurait dû le pousser en bas de la falaise! »

Ou bien :

« Si vous êtes dans cette business-là pour n’importe quoi d’autre que l’argent, vous n’êtes qu’un idiot! », un concept un peu plus difficile à appliquer sur le circuit indépendant, mais que j’ai fini par comprendre avec les années. Peu importe l’occasion, si vous donniez un micro et une tribune à Heenan, il savait quoi faire avec.

Son autobiographie, quoique courte, est également excellente et l’un des premiers livres de lutte que j’ai lus et que je vais relire très bientôt.

En terminant, je laisse la parole à un de ses bons amis, Jim Raschke, qui malgré sa tristesse, a été capable de résumer la carrière et la vie de Bobby Heenan de façon remarquable.

« Il était un très bon ami et un excellent gérant. La crème de la crème. C’était formidable travailler avec lui. Il était aussi un très bon lutteur lui-même. Dans une business où le timing est si important, il avait un grand sens du timing, autant au micro que dans l’arène. Il était tellement drôle lorsque tu voyageais avec lui et juste plaisant d’être en sa présence. C’est vraiment une triste journée. »

Resto-Bar
Cette chronique est une présentation du Resto-Bar Coin du Métro. Le Resto-Bar Coin du Métro, 10 719 Lajeunesse, l’endroit par excellence pour tous les événements sportifs tels que le hockey, le soccer, la boxe, la lutte et le football à Montréal! Vous pouvez aussi consulter leur page Facebook.

Bonne lutte à tous et à toutes!

Si vous avez des questions, des suggestions ou des commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec moi au patric_laprade@lutte.quebec, sur ma page Facebook ou sur mon compte Twitter.

RÉAGISSEZ CI-DESSOUS

commentaire(s)

test
LIRE L'ARTICLE PRÉCÉDENT
Le Poing: Les « pelleteux de nuages » et le côté obscur de la lutte
LIRE L'ARTICLE SUIVANT
Le Poing: Éric Denis, un lutteur respecté et apprécié de tous