Cette semaine, j’ai une occasion qui ne se présente pas assez souvent dans cette chronique, celle de vous parler d’un grand film… de lutte, d’un film célébré de l’histoire du cinéma, particulièrement dans son genre, et d’un grand cinéaste.
Je me demandais ce que je trouverais en fouillant de plus en plus creux dans ce qui concerne la lutte au cinéma et j’ai trouvé, à date, un film datant de 1950, du grand réalisateur Jules Dassin : Night and the City.
C’est un film noir. Le « film noir », tel que baptisé par les cinéphiles français, sont des fictions urbaines qui tournent autour de thématiques comme le meurtre, l’espionnage, la trahison et le désespoir. Il faut se remettre en contexte que nous sommes peu avant la Seconde Guerre Mondiale et à la fin de la crise économique aux États-Unis quand l’apogée du film noir est atteint. Il s’oppose à la comédie musicale à grands déploiements en nous présentant une vision de la réalité beaucoup plus sombre, secrète, intériorisée et difficile. Pour illustrer cette dureté, on a recours au noir et blanc ainsi qu’à des cadrages et des ombrages expressionnistes, qui viennent extérioriser ce qu’on ne peut pas dire à voix haute; que ça va mal et que ça ne va en s’améliorant.
Ces films racontent des histoires se tramant dans des milieux peu fréquentables avec des gangsters, des prostituées, des proxénètes et des policiers corrompus, cherchant à trouver une réponse à leur existence dans laquelle tout va mal.
Night and the City se passe à Londres dans les années 40, alors qu’un petit criminel, Harry Fabian (le légendaire Richard Widmark, très grand acteur), jeune homme déterminé et street smart, qui tente de faire sa place dans un monde sans possibilité, découvre la scène de la lutte londonienne. Il y voit tout de suite une alternative aux paris risqués et aux cambriolages ratés qui le rapprochent de la mort ou de l’emprisonnement. Malheureusement pour lui, la lutte à Londres est monopolisée par une bande de gangsters qui font la méga-piasse en… ARRANGEANT les combats, toé! Vous allez voir ce thème devenir récurrent dans les vieux films de lutte. Les méchants veulent toujours arranger la lutte, avec ou sans succès!
Cependant, pas tout le monde n’est au courant que c’est arrangé. Harry va séduire le grand et légendaire lutteur retraité Gregorius, interprété avec énormément de sensibilité par un Stanislaus Zbyszko, alors âgé de 70 ans. Gregorius est tellement respecté que lorsque Harry va l’approcher pour créer avec lui une promotion de lutte avec des « vrais combats » comme dans les années glorieuses de Gregorius, la mafia locale de gangsters, dont le fils de Gregorius, ne va pas oser l’empêcher… pour l’instant.
Le problème c’est qu’Harry a besoin de trouver un important montant d’argent au plus vite pour payer son premier gala, argent qu’il emprunte à moitié à son amante, femme du propriétaire du bar qu’il fréquente, en échange de lui avoir une licence de bar pour qu’elle laisse son mari et parte sa propre business. Il va lui en avoir une fausse pour garder le montant. Mais ce même argent, c’est aussi l’argent de son mari, qu’il a déjà promis à Harry pour investir dans son gala à 50% en échange d’une part des profits. Pour s’en sortir, Harry va tenter de voler la femme qui est amoureuse de lui, mais sera surpris la main dans le sac et poursuivi par les gangsters, puis perdra l’argent. Pire, Gregorius va tenter de défendre Harry dans un méga combat de vieux tough guys au gym, scène de lutte incroyable, où Gregorius va mourir d’une crise cardiaque. Harry, traqué, doit maintenant de l’argent à tout le monde, ne bénéficie plus d’aucune protection et plus personne ne croit ses mensonges. Ses minutes sont comptées. Comme dans tous les films noirs, il devra acquitter la facture de ses actes avec sa propre vie.
On s’attache malheureusement au personnage d’Harry car il représente un aspect de la société de l’époque dont on ne voulait pas parler. Ceux nombreux pour qui le rêve américain est condamné à l’échec dès le début. Harry est intelligent, ambitieux, débrouillard, patriote et travaillant, mais il évolue dans un monde qui a cessé de donner des opportunités aux gens de ce genre, les forçant à se dévorer entre eux pour les restants la nuit venue.
Night and the City est produit par la filiale européenne de la 20th Century Fox, la 20th Century Fox Limited, à Londres. Le film sera banni en Angleterre à cause de sa vision trop sombre (lire réaliste) de la société capitaliste et aura une sortie limitée aux États-Unis, noyée par les mauvaises critiques à la solde de médias conservateurs de l’ère de l’Après-Guerre, avant de ressortir dans les années 60 quand la cinéphilie et le socialisme redeviendront à la mode.
Jules Dassin, américain du Connecticut, était membre du Parti Communiste jusqu’à ce qu’il apprenne que l’Union Soviétique avait signé un traité avec Hitler en Europe en 1939. Il sera mis sur la liste noire des gens du milieu du cinéma que l’on accusait d’avoir des aspirations socialistes ou communistes lors de la grande chasse aux sorcières des années 50. Un des chapitres les plus honteux de l’histoire américaine. Interdit de tourner, il ne réalisera plus aux États-Unis et ira en Europe briller de son génie artistique et de sa sensibilité remarquable jusqu’à sa mort à 98 ans en 2008.
Night and the City, essentiel au courant du Film Noir, est disponible en édition Criterion, qui distribue certains des films les plus importants de l’histoire du cinéma. Une superbe édition avec des entrevue de Dassin, des comparaisons entre les versions et des essais de théoriciens du cinéma sur le film et les courants dont il fait partie. Zbyszko (pas facile à écrire ça!) a joué quant à lui dans un autre film, et n’est pas le seul Zbyszko non plus à l’avoir fait.
Je ne peux que vous recommander Night and the City. Ça fait du bien de voir des très bons films de temps à autre et ça augmente le plaisir d’en voir de très mauvais. Parlant de très mauvais film, à la semaine prochaine!