Je ne peux pas dire que j’aie vraiment connu George « The Animal » Steele comme lutteur. Par la suite, avec la VHS, les DVDs, YouTube et le Network, certes, mais en 1991 quand j’ai commencé à regarder la lutte, il n’était déjà plus dans le portrait. Il était sinon dans la bataille royale de Wrestlemania IV en 1988 que je pouvais louer à mon club vidéo, en version française. Mais sinon, j’ai connu George Steele dans un film de Tim Burton, Ed Wood, de 1994.

Le générique du début rend parfaitement hommage à l’univers du réalisateur Ed Wood. D’ailleurs, selon la rumeur, ce générique a couté plus cher que tous les films de Ed Wood mis ensemble…
Ed Wood est un film semi-biographique qui raconte la production des trois principaux films d’un réalisateur atroce des années 50, Edward D. Wood Jr., considéré souvent comme le pire de tous les temps. Est-ce vrai? Boff… mais ses films sont effectivement horribles et il sert de porte d’entrée au monde des mauvais films, avec les trois plus connus : Glen or Glenda (53), Bride of the Monster (55) et Plan 9 From Outer Space (59). Il a 19 autres crédits à son actif, mais on en parle très peu. La légende concerne surtout Plan 9 From Outer Space, que l’on apprend tôt dans une cinéphilie comme étant le pire film de tous les temps. J’aurai certainement l’occasion de vous reparler du réalisateur et du rôle qu’interprète George Steele dans le futur.
Tim Burton rend hommage à Edward l’homme en choisissant de raconter non pas l’incompétence et l’alcoolisme de Wood, mais comment un homme a tenté de vivre de sa passion de raconter des histoires, s’est relevé chaque fois et comment à long terme, près de 40 ans après sa mort en 78 (à seulement 54 ans), nous nous souvenons toujours de lui et partageons encore son héritage cinématographique de passionné un peu naïf, que ce soit pour les bonnes ou les mauvaises raisons, et ça, c’est mieux que 99% des gens qui ont traversé le milieu du cinéma.
Où l’Animal Steele entre dans l’équation, c’est dans la curieuse capacité d’Ed Wood de réunir des individus extrêmement hétéroclites dans l’espoir de faire financer ses projets. Étant lui-même adepte de se travestir dans sa vie personnelle en portant du linge de femme, tout en étant hétérosexuel, Wood ne jugeait personne et devait être une personne incroyablement ouverte d’esprit, surtout dans le contexte hétéro-normatif des années 50. Ainsi, dans le film de Burton, on apprend comment Wood a pu distribuer ses rôles à l’acteur déchu et interprète du Dracula de 1931, Bela Lugosi, l’animatrice télé Vampira, le médium escroc bizarrement populaire Criswell et… un lutteur suédois, Tor Johnson. Il aurait vu Johnson lutter dans un amphithéâtre de Californie alors en pleine tentative de trouver des acteurs pour son Bride of the Monster, ici l’assistant à la sauce Igor du scientifique fou, Lobo.

George obtient le beau rôle de Tor Johnson et heureux pour lui, il apparait à la 42e minute du film et part la suite, sert à quelque chose dans pratiquement toutes les scènes du film à venir.

Burton a fait un travail de recréation impeccable. Voici une scène du film Bride of the Monster (1955)
Tor Johnson était une grosse masse d’homme chauve de 6’3’’ , 350 livres, directement de Suède. Ed Wood n’a pas été le premier à lui trouver des rôles car il apparaîtrait dans plus de 30 films. Aujourd’hui, nous nous souvenons cependant de lui pour ses rôles dans Bride, Plan 9 et une autre merde, Beast of Yucca Flats, où il tient le rôle principal. George The Animal était l’homme parfait pour jouer le rôle, ne serait-ce que pour sa ressemblance avec Tor. Il a pris des cours pour apprendre à dire ses lignes avec un gros accent scandinave et on lui fit porter des grosses chaussures lourdes pour imiter la démarcher boiteuse de Johnson.

Il recrée la scène culte où Tor Johnson bump contre le décor minimaliste de Bride of the Monster, faisant pratiquement tout tomber, et qu’Ed Wood a laissé dans le film, soit parce qu’il n’a pas remarqué, qu’il s’en foutait ou qu’il n’avait pas le budget pour la refaire 2x.
Steele fait du très bon travail comme acteur, dans un rôle somme toute assez complexe, car il ne s’agît pas de s’inventer une gimmick ou lire ses lignes en jouant son personnage de la WWE comme le ferait John Cena. Il devait devenir ce lutteur suédois qui a existé 50 ans avant lui, preuves à l’appui, maquillé pour lui ressembler, et jouer les mêmes scènes que lui dans un remake des scènes, jouer l’acteur qui joue, mais aussi l’acteur qui ne joue pas. Il s’en sort très bien.

Ed Wood contient ses moments très durs, comme Bela Lugosi qui tente de revenir en force après un internement infructueux. Sans le moindre sou, et ses assurances comme acteur étant échues, il est mis dehors du centre d’où il meurt peu de temps après.
Ed Wood est bourré d’inside jokes et d’hommages à l’univers d’Ed Wood, de même qu’au cinéma d’Orson Welles, qu’idolâtrait Ed Wood. C’est le genre de classique qui se redécouvre toujours plus en profondeur, plus notre connaissance des protagonistes augmente. Martin Landau a remporté un Oscar pour son rôle touchant de Bela Lugosi, la première fois qu’un acteur remporta ce prix pour avoir interprété un autre acteur. Martin Landau, vous pouvez le replacer dans votre tête comme étant Sal Bandini (…vous voulez lutter?) dans Ça va Brasser (Ready to Rumble) en 2000. On peut apprendre en détails dans le making of du film comment il s’est préparé en cinglé pour jouer le rôle. Il est toujours vivant et joue encore dans plusieurs films par année, du haut de son 88 ans très en santé. On aime ça la bonne génétique!

Pour obtenir du financement, les conditions ont été que toute l’équipe a dû se faire baptiser par l’Église.
C’est probablement le film de lutteur que je vous présente à date qui contient le plus de vedettes. En plus d’être réalisé par Tim Burton et produit par Disney, Ed Wood a donné la chance à George de partager l’écran avec Johnny Depp (Ed Wood), Patricia Arquette, Lisa Marie, Bill Murray, Sarah Jessica Parker, Jeffrey Jones et Landau, dans un film encore culte aujourd’hui et un must pour les amoureux du film sur l’histoire du cinéma. C’est une oeuvre drôle et très touchante sur le combat d’un homme pour faire ce qu’il aimait, qui a souffert et qui est décédé pauvre et dans l’oubli, avant d’être ressuscité par un contemporain comme Burton, qui en fait une carrière de ramener ses idoles pour une nouvelle génération de cinéphiles.

Une bande d’iconoclastes que seul Ed Wood pouvait réunir. Ici Burton fait une petite référence subtile à la Famille Addams!
Si vous n’avez pas vu Ed Wood, la chronique est finie, vous pouvez aller l’acheter ou le télécharger. Lisez-vous encore? Bah, go!