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17/11/2021 | Chroniques

C’est comment lutter? Point de vue d’un journaliste au coeur de la tempête…

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fred awe

Les lutteurs racontent des histoires dans le ring, mais peinent à avoir un point de vue objectif de la chose. Les fans absorbent les histoires dans le ring d’un point de vue purement contemplatif et observent les choses. Les journalistes écrivent les histoires qu’ils voient dans le ring sans l’enthousiasme du fan et sans savoir comment marchent vraiment les choses.

Moi, j’ai eu de la chance, la chance de pouvoir observer le monde de la lutte de ces trois manières et ce, en même temps!

Vendredi dernier dans l’antre de la AWE (Attitude Wrestling Entertainment) de Chicoutimi-Nord, au Saguenay, avait lieu l’hebdomadaire gala High Voltage édition #112. Une micro soirée de lutte ou s’entasse plus d’une centaine de spectateurs étonnamment fidèles bon temps – mauvais temps et qui viennent voir leurs héros locaux, mais aussi des vedettes de partout au Québec se taper sur le margoulette pendant environ quatre combats par soir. Semaine après semaine, les rivalités s’élèvent et culminent lors d’une soirée plus étoffée environ un dimanche par mois. En gros, voici le principe d’une fédération vivante au Québec, en région, depuis quelques années.

Au Saguenay, la lutte a toujours été particulièrement au centre des loisirs des gens d’ici. Des belles années de Mad Dog, Carpentier, Rougeau, André et les autres au Centre George Vézina à Chicoutimi jusqu’aux différentes moutures de la JCW (Jonquière Championship Wrestling) et de la AWE. D’ailleurs, pour une région, entre parenthèses éloignée, il est carrément exceptionnel de pouvoir compter sur deux fédérations de qualité et qui, idéalement, offrent des galas lors de soirs différents afin de ne pas se cannibaliser. Évidemment, oui, il existe une certaine forme de compétition entre les deux fédérations qui s’arrachent les fans dans un rayon de moins de 20 minutes, mais d’un point de vue de fan, c’est vraiment trippant de pouvoir voir deux bassins de talents complémentaires. Des talents qui, oui, vont commencer à une place, partiront à l’autre place, reviendront ensuite ou ne reviendront jamais, mais au bout de la ligne, un jeune qui veut apprendre et évoluer dans le domaine pourra le faire assez facilement sans faire 2, 3 ou 5 heures de route pour vivre ses premiers matchs.

Où suis-je là-dedans? Euh… en fait , un peu partout. Je suis à la base fan de lutte et animateur de radio parlé pour le réseau Cogeco. Quand j’ai été transféré de Gatineau à Chicoutimi en 2012, j’ai rapidement eu vent de soirées de lutte de la JCW dans un genre de garage avec des estrades home made, un coût d’entrée à 3 piasses et SURTOUT, la possibilité d’apporter sa propre bière(s) en canette. Comment ne voulez-vous pas tomber en amour avec ça? Dans un temps assez rapide, j’ai pu me présenter aux gars de la JCW et une chose en emmenant une autre, comprenant mon intérêt pour la lutte, une première opportunité s’est présentée. En gros, durant le gala, on me présente comme “Fred de la radio, je jase en disant que la place est bien belle et, bien évidemment, un méchant m’interrompt pour débuter une altercation non planifiée (mais prévue, si vous voyez ce que je veux dire). Véritablement terrassé et laissé pour mort dans le ring, l’effet est immédiat, la foule est médusée! Pendant les jours suivants, je ne cesserai de déverser mon fiel en ondes, jouant le jeu à feu, sur ce connard qui m’a laissé avec deux vertèbres déplacées et une commotion cérébrale. La vérité est que quelques heures plus tôt, je prenais mes premiers bumps en pratiquant dans le ring et apprenait à la va-vite les rudiments du métier. Être fan c’est une chose, mais croyez-moi, RIEN absolument rien, ne vous prépare à vivre les premières douleurs du contact dans le centre du ring ou d’une chop dans la poitrine avant de le vivre. Ironiquement, si je racontais en ondes avoir eu deux vertèbres de déplacées lors de mon agression , j’ai réellement eu deux vertèbres de déplacées lors de ma toute première manœuvre durant la pratique, outch!!!! J’ai tout simplement fermé ma gueule, signé la release et attendu la fin de la soirée pour avouer ma douleur ne voulant pas passer à coté d’une telle immersion dans le monde de la lutte! Les semaines et les années passèrent et en cours de route, je serai occasionnellement présentateur sur place, commentateur à la télévision, arbitre et bien sûr: lutteur en simple, en équipe lors de quatre ou cinq occasions! Si on regarde ça avec du recul: le deal est non officiel, mais bon, pour tout le monde: J’ai une chance inespérée de vivre de l’intérieur ma passion pour la lutte et la fédération a la chance d’avoir une exposition sans égale dans un média local d’importance, une pub évolutive en quelque sorte. Honnêtement et encore aujourd’hui, je ne m’impose jamais, mais si on a besoin de moi je réponds présent. D’ailleurs, si vous allez voir sur YouTube, vous verrez un gars au talent bien ordinaire encadré par des vétérans qui s’occupent de donner le show et d’assurer ma sécurité dans l’arène.

Je m’étais dit, il y a quelques années, que mon trip était fait et que c’était terminé: pas tout à fait…

Depuis des années on me parlait d’une autre fédération au Saguenay, une fédération un peu comme toutes les autres qui commencent petites, dans un local lui aussi de type garage et qui attire quelques dizaines de personnes gros max. Tranquillement, leur roster grossit, la foule aussi, le local également. On assiste à une mini guerre non officielle dans la région et certains quitteront la JCW pour aller rayonner l’autre bord, d’autres resteront fidèles, les deux fédérations ne feront pas de déclaration officielle, mais techniquement, un lutteur ne peut pas vraiment lutter à Jonquière et Chicoutimi-Nord pendant une même run. Une règle non-écrite qui subsiste encore actuellement, mais changera peut-être un jour, qui sait? De mon côté, je suis un gars qui supporte la gang de Jonquière, donc je m’entête à rester de mon bord de la clôture niveau support, mais dans les faits, je connais plusieurs gars des deux côtés et qui sont dans la très, très grande majorité, de chics types avec qui j’adore jaser.

Il y a quelques semaines, mon amie et collègue à la radio, Tania Clouston, ne cessait de m’harceler  pour que j’aille voir sa gang de Chicoutimi-Nord et m’approcha avec une astuce différente cette fois:

-Eille Fred, faudrait vraiment que tu viennes voir la AWE bientôt!

-Mmmmoouin, un jour, un jour, pour l’instant j’attends quand la JCW va reprendre ses shows après la pandémie…

-Oui. mais faut que tu saches qu’on a un gars de la Beauce, Jeff Saunders, qui se vante constamment d’être la plus belle chose que la Beauce ait pu enfanter…

Ça y était! Le ver était dans la pomme. Après tout, même stagger, tu ne touches pas à l’orgueil d’un gars qui vient de la Beauce.

Honnêtement rendu à 40 ans , je ne me voyais pas trop refaire des spots dans un ring et risquer de me blesser, encore moins lutter (on est pas tous des PCO)! Mais bon, comme je disais, j’ai jamais voulu m’imposer à quelque part, sauf que si, en tant que fan de lutte, on te propose de faire partie d’une storyline, la force d’attraction devient tout simplement impossible à combattre, au grand détriment de ma femme et de ma mère!!!

Jeff Saunders est, en général, ce qu’on appel un heel, un méchant si vous préféré. La vérité (cessez de lire tout de suite si vous souhaitez conserver la magie) c’est que Jeff est un gentilhomme au total antipode de son personnage dans le ring. Arrogant, brutal, sauvage et… dégoutant (?) Jeff, ou Jack de son vrai nom, est en fait une perle pour travailler avec les nouveaux gars. Le type est brillant, connait comment vendre une histoire, ouvert d’esprit, calme et surtout safe avec ses opposants. On dit safe, mais on pourrait résumer çà à : prend soin de son partenaire dans le ring même s’il doit continuer de vendre son côté méchant. Par opposition, certains lutteurs auront tendance à trop être dans leur personnage et pourront être stiff, c’est à dire, vouloir par excès d’enthousiasme ou de mauvaise foi, frapper pour vrai leur partenaire de ring qui, je vous le rappelle, n’est PAS son vrai ennemi dans la vraie vie!

Je prends donc rendez-vous avec la gang un vendredi soir, un peu avant d’assister à mon premier gala à l’AWE. Comble de chance, je connais la moitié du roster dans le vestiaire, je reconnais d’ailleurs mon bon ami DGenerate, celui qui fût le premier à me montrer les ficelles du métier huit ans plus tôt! Cette fois, je rencontre Jeff en vrai pour la première fois. Le mec est costaud, barbu et, à première vue, pas le genre de gars avec qui tu veux te pogner, mais rapidement on jase et on regarde pour la suite des choses le soir même:  Jeff Saunders coupera, l’animatrice de la soirée (ma collègue à la radio, Tania) lui disant que son concours d’Halloween est trop long et poche. Il saisit l’occasion de dire à la foule à quel point il est la fierté de la Beauce et Tania lui reprenant le micro lui laissera sous entendre qu’elle connait un autre gars de la Beauce, Fred, son collègue et qui n’est pas aussi colon que lui. Évidemment, dans le script, simple spectateur, bière à la main, je me lève timidement et salue humblement le public présent. Jeff s’en prendra violemment en agrippant les cheveux de l’animatrice, l’emmenant au sol et, devant sauver mon amie et collègue, je quitte mon rôle passif pour sauter dans le ring et ruer de coups Jeff! Une séquence qui, même en 2021 sèmera la confusion au travers des gens présents et, même sur le web le lendemain, certains croyant réellement à un incident non scripté. Même si officiellement, je déclare publiquement ne pas vouloir repartir dans ce genre de patente, la réalité est que j’ai à nouveau le pied dans l’engrange et que c’est carrément trippant!

Dès le lendemain, la NSPW tient un gros gala au théâtre Le Diamant de Québec. Profitant de l’opportunité de voir mon premier gala de cette fédération, on décide tant qu’à être là, de tourner une séquence d’agression physique où Jeff me détruira en plein Vieux-Québec. Lors du tournage, un pauvre concierge qui regardait les caméras de surveillance du Diamant nous interrompra croyant assister à un véritable massacre (Il nous avouera d’ailleurs être passé à un cheveux d’appeler la police!). Une fois diffusée, même si les fans semble avoir compris le côté scripté de la chose, la vidéo sera quand même visionnée à quelques milliers de reprises!

La semaine passée, lors du gala Démolition, on décide de terminer la route de cette brève storyline avant le combat définitif. Cette fois, lors d’un combat entre Jeff Saunder et Stephen Sullivan pour le championnat de la AWE, les deux protagonistes se retrouvent à l’extérieur du ring et dans la foulée, accrocheront et renverseront un anonyme spectateur. Comble de hasard (hum hum…), c’est bien entendu, moi qui se ramasse cul par-dessus tête et en l’espace d’un rien de temps, le combat devient un no contest. Frustré de ne pas pouvoir offrir aux fans sur place une fin de gala digne de ce nom, Sullivan offre de repartir le match contre Saunders avec moi dans son coin, ce que j’accepte bien entendu! Au moment où Sullivan se retrouve en mauvaise position, je frapperai en plein visage Saunders avec un percutant coup de chaise, causant la confusion totale dans le ring,t mais éventuellement une victoire de Sullivan. Courte promo au micro, je dis à Jeff qu’on se donne rendez-vous une fois pour toute vendredi prochain!

Entre temps, j’aurai la chance, mais aussi l’opportunité de pratiquer à deux petites reprises avant mon combat avec un autre jeune vétéran, Morino. Deux pratiques c’est  une quantité nettement insuffisante pour quiconque veut faire un premier combat, mais comme j’avais eu l’opportunité de faire quelques trucs des années auparavant, ça me donnait l’avantage de retomber rapidement dans le contexte. Malheureusement, durant une manœuvre bien anodine deux jours avant le combat, une vieille blessure aux côtes est revenue me hanter. Croyez-moi, y’a pas grand chose de plus tannant que des côtes qui font mal quand tu sais que tu vas affronter un mastodonte de 268 livres deux jours plus tard! Encore une fois, show must go on comme disait un autre Fred.

C’est donc vendredi dernier, confiant mais blessé, stressé à mort, mais hautement reconnaissant envers les dieux de la lutte que j’arrive assez tôt au local. Une soirée particulière disons où un lutteur aura un accident dans le parc sans pouvoir se rendre au gala (sans être blessé, heureusement), un autre aura le doigt littéralement disloqué devant tout le monde et devra terminer de manière précipité son match, et moi qui se retrouve dans cette soirée maudite en main event 1 contre 1  ayant la lourde tâche de paraître legit et non pas comme un crétin de radio qui se quête un poste de lutteur d’un soir par vanité et égoïsme! Heureusement, et c’est là le rôle d’un bon vétéran, Jeff me met en confiance en me faisait répéter le match backstage à plusieurs reprises. Assez d’ailleurs pour que je puisse être assez confiant pour connaître les moments clés, car oui, une partie du combat est prédéterminée, dont la fin, mais les lutteurs à la AWE ont quand même assez de latitude pour définir une bonne partie du plan de match afin que chacun des lutteurs obtiennent son moment de gloire.

Laissez-moi vous dire que fake ou pas, dès que ta chanson résonne dans la salle, t’as intérêt à jouer ton personnage à fond et heureusement, j’ai vraiment pu aller chercher ma foule avec un maximum de détermination et de conviction. Heel ou face (gentil ou méchant) dès le départ, tu dois faire comprendre au public présent que ça ne sera pas de la rigolade! Le déroulement du match suivant sa suite logique, Jeff passera une bonne partie du combat à me rappeler à l’oreille l’enchainement suivant. Vous trouvez ça amateur? Pas du tout! Un ancien champion de la WWE me confiait en ondes, il y a quelques années, que même dans les plus hautes sphères de la lutte, la communication dans le ring reste vitale et permet d’éviter bien des oublis (et des blessures). Donc, je prends des coups vicieux, donne des coups aussi, mange certaines prises, donne certaines prises. La foule est là du début à la fin et réagit autant dans mes comebacks que dans les rinces que je subis. D’ailleurs, même si on travaille fort pour ne pas que ça arrive, un accident peut arriver. J’ai bien involontairement fait saigner abondamment du nez Jeff Saunders lors d’un coup de poing mal calculé. Laissez-moi vous dire que je n’étais pas très content de la chose, car tu ne veux pas laisser une impression de botcheux à ceux qui t’accueillent dans le ring. En contrepartie, lors de certain écrasements, même si Saunders y allait de manière assez sécuritaire, j’ai senti à quelques reprises mes côtes se renfoncer, un feeling horrible et qui me laisse craintif tout le reste du combat. Au bout de la ligne, alors que j’étais complètement détruit , j’ai réussi à remporter une victoire à l’arraché en sautant du troisième câble sur Saunders étendu au sol après avoir reçu un coup de pied dans les valseuses gracieuseté de ma manager d’un soir, Tania. C’est donc en vendant au maximum ma blessure accidentelle que j’ai quitté le ring sans oublier d’embrasser mes enfants présents dans le public. D’ailleurs, même si en regardant la reprise du combat il y avait un million de choses que j’aurais aimé mieux effectuer, comment ne pas être le gars le plus chanceux du monde dans de pareilles circonstances?

En définitive, j’ai serré la main de dizaines de personnes le soir-même après le combat, comme si j’étais champion. J’ai déjeuner à la morphine le lendemain, et je passe chez le chiro cette semaine pour une bonne job de body! La plupart des gens considéraient mon bref retour à la lutte comme une mauvaise idée, mais sincèrement, ça valait chaque côte renfoncée!  J’ai eu beaucoup de plaisir à apporter des idées pour la storyline, mais surtout écouter les conseils de mon opposant pour rendre l’histoire la plus intéressante possible. Si mon corps le permet, j’accorderai une revanche un jour à Saunders, mais d’ici là, prenez plaisir à le détester dans les rings entre autres de la AWE, de la NSPW et de la FCL. Un méchant ultra sympathique qui sacrifie ses weekends comme tant d’autres hommes et femmes au Québec pour vous offrir un bon spectacle et vivre leur passion sur la route!

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